Ses liens se tissaient comme l’ombre s’emparait des cauchemars les plus noirs de ses victimes. Ne plus être maître de lui-même, Shinso avait du mal à visualiser le ressenti qu’il pouvait créer par son alter. Mais les entraves de son mentor avaient aidé à en comprendre une infime partie au moins. Personne ne souhaitait se retrouver sans alter tout comme personne ne serait volontaire pour devenir une marionnette. Sa marionnette. La rapidité avec laquelle les évènements se produisait faisait grimper la tension de l’apprenti héros décidé à mettre à l’abris la femme qu’il raccompagnait. Admirateurs de chats, malchanceux tous les deux, sa méfiance était portée sur les vilains indépendants dont la recrudescence était inacceptable. La course s’arrêta rapidement, au détour d’une porte ouverte non sans difficulté malgré les habitudes. Sans doute la peur, l’adrénaline et le soulagement d’être enfin chez soi. Les mèches violettes volaient dans l’appartement aux motifs riches. C’était un peu comme la vision qu’il avait du monde : l’extérieur ne reflète en rien ce qui se trouve à l’intérieur. Etait-ce vraiment de l’or ? ça il n’en savait rien et vérifier ne lui vint pas à l’idée. Ses priorités placées ailleurs, il se déchausse en imitant la jeune femme, restant malgré tout au seuil de l’appartement sans oser progresser dans ce nouvel environnement. Il n’y avait rien d’hostile à première vue, son regard balayant les ornements dorés et les vases à motifs égyptiens. Tout lui rappelait ce qu’il avait une fois lu dans ses emprunts à la bibliothèque.

D’un geste vif capté par les améthystes encore brillant de l’étudiant, un index pointe vers une porte fermée. Confus, il penche la tête en reportant son attention vers N et tasse son cou entre ses épaules lorsqu’elle lui indique ce qui se trouve derrière et parle de ses potentiels amours. Son esprit se laisse tenté par la mauvaise foi de lui répondre qu’elle était bizarre avec lui, qu’elle était un peu trop ravie de l’embarrasser, mais il préféra le garder pour lui, comme de nombreuses choses qu’il ne jugeait pas utile de rendre verbale. « Je comptais pas visiter… » du peu qu’il voyait, il ne se serait jamais permis sans invitation et il était certain qu’il aurait refusé dans tous les cas. L’idée même était perturbante.

La nuit n’avait pas tardé et le couvre-feu était encore d’actualité, si tentée qu’il sortit de sa poche son téléphone aux mots de la propriétaire. « Je… hm vais devoir attendre qu’ils soient partis et avertir que je n’ai pas pu rentrer » avant qu’il ne soit trop tard. Indiquer sa position n’était pas nécessaire, pas avec exactitude, néanmoins le professeur qui avait vu en lui un héros méritait de savoir pourquoi il enfreignait le règlement : ce n’était pas volontaire. Son acte était peut-être répréhensible, cependant il n’avait pas eu le choix. Les civils n’étaient-ils pas prioritaires ? Les héros n’étaient-ils pas censés protéger les personnes qui en avaient besoin ? Porter ce simple titre lui donnait le droit d’intervenir et d’utiliser ses capacités là où un autre n’en aurait pas eu le droit sauf en cas de légitime défense. Etait-ce suffisant pour qu’il la laisse seule ? Compter sur cette clause ? Inconcevable et il savait très bien qu’il allait malgré tout se faire sermonner. Il donnerait les détails plus tard, en attendant… il n’avait pas trop le choix et attendait poliment les instructions et l’autorisation de rester quelques minutes supplémentaires.

La jeune femme semblait ravie de pouvoir profiter un peu plus longtemps de sa compagnie quand lui, depuis le départ n’était ni contre, ni pour. Il n’allait pas nier être rassuré de pouvoir constater qu’elle se portait bien. Étrangement bien. Ce n’était peut-être que pour maintenir les apparences, néanmoins, Shinso se contente de ne faire aucun commentaire pour l’instant, la laissant le guider et poser ses questions. « Hm… ça va aller, je n’ai besoin de rien » laisse-t-il entendre, toujours aussi fermé. Quant à ses études, devait-il le lui dire ? Il n’aimait pas mentir et il n’avait aucun intérêt à le faire si ce n’est protéger son identité. « Dans le département général de… » l’U.A. ce n’était pas un si gros mensonge, personne ne savait pour son transfert à part les internes de l’école prestigieuse. Il ne représentait donc aucune menace et ses réflexes qui avaient été de fuir avec une civile plutôt que d’affronter ne laissaient pas suffisamment de portes de sortie pour affirmer son changement de cursus.

Sans réellement comprendre, il s’exécute, s’assoit sagement en face de N qui lui a servi beaucoup de choses sans qu’il ne le lui ait demandé. Une hospitalité qu’il ne peut refuser, c’était impoli, même pour lui, même pour ses doutes. Il se sert sans toucher à la canette pourtant entre ses mains, ne l’a pas encore ouverte et observe le moindre geste effectué. La dague réapparait avec pour explication qu’il s’agit d’une dissuasion plus qu’une arme dont elle comptait se servir. Ses poings se serrent et la pression d’un endroit mal famé ne voulait pas dire qu’il fallait se priver de tout. L’étudiant acquiesce, conscient qu’il ne pouvait juger cette précaution, bien qu’il n’était pas certain de pouvoir déceler le vrai du faux concernant l’usage qui était fait de l’arme blanche. Tout semblait briller dans l’appartement à la lumière douce, rendant d’autant plus les couleurs chatoyantes qui se reflétaient trop pour ses yeux avides de tout mouvement suspect. Aucun des hommes n’avait révélé son alter et le sien avait été trop bref que l’on en suspecte l’étendue.

« Ça ne doit pas être facile… ça va aller ? » et il ne demanderait pas ce qu’elle faisait dans la vie pour être coincée ici plutôt qu’ailleurs. « C’est… quand même sympa » la maison était propre, rangée méticuleusement, un peu trop peut-être.

La première chose que Shinso pensa lorsqu’il vit la cruche et son contenu se déverser dans une flute, c’est que oui, il s’en moquait totalement. L’alcool, en tout cas le vin ne l’avait jamais vraiment tenté et bien qu’un jour il y aurait droit, ça ne l’empêche pas d’être réticent face aux comportements que pouvaient avoir certains adultes sous l’emprise d’alcool quel qu’il soit. Bien sûr, tout dépend de qui et de la capacité à se modérer de chacun. La liberté était grisante, mais parfois elle nécessitait des règles tant il était probable qu’elle soit sujette aux abus. La confiance que l’on pouvait accorder aux hommes devait se mériter, n’était-ce pas un comble ? Ses grands yeux aux cernes apparentes suivait maladroitement les mouvements du liquide tandis qu’il attendait la réponse de son professeur et mentor. Il allait devoir attendre quelques minutes pour rentrer ou que quelqu’un vienne le chercher. La première solution était préférable pour lui, afin de ne déranger personne, mais la seconde restait plus sûre pour tout le monde. Un héros compétant viendrait à bout de ces vilains en un claquement de doigts. Ce qui était certain en revanche c’est qu’il allait se faire sermonner sévèrement. Il grimace presque avant de relever le nez vers les yeux verts de la jeune femme.

Quelle était la logique de cette question ? Il regarde ses mains, encore fermées sur ses bandelettes pour l’une et l’autre vide où la main de la jeune femme avait demeuré. Puis, il penche la tête. « Mais… je viens de vous raccompagner » Voulait-elle vraiment courir le risque de recroiser ces hommes en rentrant ? Lui qui s’était donné du mal pour ne pas qu’elle ait de problème, à quoi pensait-elle ? Vraiment ? « Dès que j’aurais une réponse, mais je ne devrais pas tarder » elle avait beau avoir le sens de l’hospitalité, il ne la connaissait pas et ne voulait pas non plus profiter de cette maison plus longtemps. S’il avait accepté de s’y réfugier c’était uniquement pour que personne ne repère où elle habitait et s’assurer qu’elle allait bien. Il n’aurait cependant pas pensé qu’elle soit si peu prudente et soucieuse de sa propre santé. Elle venait de subir une agression qu’il avait empêché de justesse et comptait déjà ressortir ? Vraiment ? ça le dépassait.  

Ce quotidien, il n’en veut pas et il est si révoltant. Il n’en affiche rien pourtant, ses doigts posés sur ses cuisses, il se demande comment des gens en sont venus à accepter cette situation, pour quoi ne pas avoir fait remonter l’information ? Oh, bien sûr il n’était pas si naïf pour croire que c’était suffisant et que la vie était rose, parfumée à la vanille. Non, pour lui il y avait un arrière-goût amer qui rendait son sel habituel moins plaisant, secouant son univers un peu trop fort. L’image de héros avait toujours été fissurée pour lui, comme un cadre photo dont le verre formait une toile par ses nombreux éclats encore tenus ensemble et derrière ce dernier, le reflet de ce métier qu’il aimait, qu’il porter différemment. Sa vision était pour le moins erronée, fausse pour l’instant. Oui, pour l’instant.

Il inspire et observe son écran quelques secondes. La réponse ne tardera plus, néanmoins il devra partir tôt ou tard et rendre des comptes. Il devra aussi s’assurer que tout va pour le mieux, vraiment. Il n’en avait pas l’impression et ne se sentait pas vraiment à son aise malgré l’invitation. « Ça fait longtemps… que vous vivez ici ? » depuis combien de temps était-ce ainsi ? Est-ce qu’elle le savait ? Ou est-ce qu’elle avait vu le quartier changer ? Est-ce qu’il pouvait y changer quelque chose ? Il essaierait en tout cas. Le temps lui semblait long, l’adrénaline redescendait peu à peu et son enthousiasme lui faisait prendre conscience de ce plaisir coupable d’avoir été dans le feu de l’action. Shinso ne regrette pas d’avoir agi. Il aurait voulu faire plus, mais ses analyses avaient privilégié la sécurité de la victime plutôt que l’arrestation de brutes dont il ne savait rien. Il était encore relativement nouveau dans le domaine. Ne pas faire de vague, en apprendre davantage sur les ressources à sa disposition, voilà ce sur quoi il devait travailler et ça ne lui avait pas échappé. Ce discernement aurait pu être détourné par sa soif d’une justice plus scène et moins élitiste, mais il se surprenait lui-même à comprendre qu’il avait, peut-être pour la première fois, pris la bonne décision. Il se souvient encore de quelques épisodes moins glorieux où il avait dû réfléchir en face d’un rebelle et d’un vilain. Sa chance le menait toujours sur des chemins sinueux à croire que le destin lui-même forçait pour tester ses capacités de réflexions et sa ténacité. Rester ou non du côté de la lumière ? Il était si bien entre les deux en apparence. Mais il rêvait de briller.

Bien entendu, juger ceux qui sont dans cette situation lui semble être une erreur. Lui-même avait été victime de ce vice propre à tous d’être analysé d’un regard et traité de diverses manières en fonction de ce que l’on comprenait de lui. Du moins, de ce que l’on croyait comprendre. Il est si difficile de connaître quelqu’un au premier coup d’œil qu’il doutait fortement que l’on puisse saisir avec plus ou moins de précision qui est la personne en face. Discuter, prendre du temps pour observer, voilà ce qui fait la différence. De même, chercher une raison valable au comportement de ses hommes n’était en revanche pas exceptionnel. Leur situation ne devait pas être extraordinaire et pour survivre dans un milieu hostile, il fallait parfois le devenir en retour. Cependant, chercher des excuses sans savoir vraiment n’était pas une bonne chose non plus. Il reviendrait sur leur cas plus tard, massant maladroitement sa nuque en réfléchissant aux mots de la jeune femme. Les personnes qui malgré les évènements parvenaient à passer outre et à ne pas mal tourner étaient effectivement assez rares pour que l’apprenti héros le note dans un coin de sa tête. Regrettable, pourtant, admirable par la force d’esprit que ces personnes ont et par la pureté de leurs cœurs. Il voulait y croire, mais il savait par expérience qu’il était aussi très tentant de céder à cette part enfouie dans l’obscurité que chacun porte.

D’un hochement de tête, il confirme ne pas vouloir ni manger ni boire. Non pas qu’il soit repu, simplement cette hospitalité ne lui est pas nécessaire. On viendra le chercher d’ici peu. Sa localisation activée permettrait au héros dépêché de le récupérer sans encombre. L’heure tourne, les néons commencent à s’allumer et se refléter au travers des rideaux. Ils voilent sans doute les astres précieux qui l’ont souvent fait rêver. Rien n’était pareil à ce qu’il avait connu lui. Plus tranquille dans les rues ou seules les habitations et quelques petites enseignes se battaient en duels contre les réverbères hauts et peu nombreux. Les rues ne dégageaient pas la même odeur et celles récemment traversaient sentaient le danger et la désolation contrairement aux quartiers de la prestigieuse école de héros. Il y avait ce mélange de parfums, de sueur et de nettoyant qui leur coller à la peau. Gêné, il répond simplement « Merci… désolé du dérangement » on ne tarderait plus à lui téléphoner à présent. Ainsi, il n’aurait plus à empiéter sur les heures de sommeil de mademoiselle N.

Il n’y avait rien d’amusant à cette situation et c’était un quotidien qui désolait complètement l’étudiant. Son changement de filière restait pourtant une bonne décision à ses yeux et l’usage de son alter pour défendre avait été la meilleure option envisagée. Quelque part, l’adolescent s’était senti vivant et parfaitement capable. Ce qui différenciait ses anciennes utilisations de son don à celles qu’il en faisait maintenant n’était pas tant éloigné. Seulement, si personne n’était là pour le voir, lui l’avait ressenti ce soulagement d’être un apprenti héros et d’agir en toute âme et conscience instinctivement pour le bien d’autrui. « Il ne faut pas vous excuser pour ça » ce n’était pas de sa faute, ni quelque chose sur lequel elle pouvait influer. Ceux qui devraient s’en soucier un peu plus étaient les héros. Parfois c’était difficile de supporter que certains quartiers étaient moins bien protégés que d’autres. Qu’il y avait malgré le nombre grandissant de célèbres détenteurs d’alter des oubliés.

Il était mal à l’aise de devoir se cacher par faute de pouvoir faire plus pour l’instant, mais s’assurerait que cette jeune femme soit en sécurité plus tard, signalant son nom ou tout du moins ce qu’elle voulait bien lui confier à des autorités plus compétentes. Le remerciement était amer dans sa bouche. Il lui avait évité le pire pour ce soir, mais le danger rodait toujours et elle habitait dans le même coin fréquenté par ses agresseurs. Ses doigts pianotent, parfois seulement suspendu sur l’appareil avant qu’il n’explique plus amplement la situation. Son tuteur était déjà là, néanmoins, il tint à finir sa conversation. « Personne n’est un poids, la vie est injuste c’est tout et c’est le hasard qui les a mis sur notre route, pas le Dieu… le Dieu des chats » ou quoi que ce soit en quoi elle croyait. Il aurait pu y croire lui aussi, mais tout comme les humains, s’il y en avait eu un, il n’y aurait pas tant de malheurs.

« Merci encore… je vais y aller, on m’attend. Au revoir mademoiselle N. faites attention à vous »