Le regard innocent de Keiju était fixe, totalement ancré dans celui de son interlocuteur qui, lui, avait beaucoup moins de désintérêt dans ses yeux. Il était obligé de lever la tête, car du haut de son mètre cinquante, il atteignait à peine la poitrine du quadragénaire qui l'avait intercepté entre deux magasins. Ses cheveux blonds, encore une fois en bataille, étaient en train de se satisfaire du passage de la main droite du gamin, tandis que sa main gauche tenait un gobelet de soda d'une couleur semblable à un jus d'orange. Un sourire provocateur venait illustrer le comportement de l'étudiant, ce qui avait tendance à pousser l'adulte à alimenter ses propos de mots de plus en plus durs, et frasques de plus en plus violentes. "Mais ce ne serait pas le fils Oka ? Qu'est-ce que tu fous ici ? Un danger comme toi ne devrait pas se balader dans des zones aussi peuplées." Tout avait commencé avec ces mots, alors que Keiju venait juste faire le tour des boutiques, se promener un peu, s'aérer la tête après une énième prise de bec avec ses parents. Tout ? Non, cette histoire remonte bien plus loin, à l'époque où il n'était encore qu'un enfant, et qu'il avait perdu le contrôle de son pouvoir, envoyant un enfant à l'hôpital, le bras en piteux état. Ce gosse était celui de l'homme qui l'avait interpellé.

"Me regarde pas avec ce sourire stupide, énergumènes comme toi devraient être enfermé dès leur plus jeune âge." La femme à ses côtés ne disaient mots, tout comme la dizaine de personnes qui s'étaient arrêtés pour regarder la scène, victimes de curiosité morbide et mal placée. "Ça doit les faire bander de voir un gamin s'en prendre pleine la tronche." pensait Keiju. "T'es qu'un minable. Tu crois qu'on ne voit pas ce qui se dégage de toi, merdeux ? Tu crois que les gens autour de toi sont aveugles ? Si tu n'as aucun ami, si depuis que t'es gamin tout le monde te fuit comme la peste, c'est qu'il y a une raison. On devrait inventer une loi pour supprimer les Alters des gamins à problèmes." C'était faux, si l'étudiant n'avait aucun ami, c'est parce qu'il se devait de refuser les mains tendues, les propositions de jouer au ballon, de fêter un anniversaire. De là est née cette mise à l'écart, et non de l'accident qu'il y avait eu. Les réactions ne se firent pas attendre, les premières mères tirant leurs fils par le bras, les chuchotements peu discrets. "Ne le regarde pas, c'est lui donner de l'importance." Personne ne le connaît, mais tout le monde le juge, seulement à travers les tirades stupides et désobligeante de l'adulte en face de lui. La main de l'homme vient frapper celle du gamin, laissant s'écraser au sol le soda encore à moitié plein. "Enlève moi ce putain de sourire." Et cette fois-ci, il disparut aussi tôt.

Calme toi.

Le poing du garçon se resserra, son autre main quitta ses cheveux, il s'obligea à fermer les yeux pour ne pas que l'on remarque les subtils changements qui s'opèrent au niveau de ses iris. "Je n'ai jamais voulu le blesser." Sa voix était faible, mélangée avec de l'amertume, de la tristesse, de la colère. "Et nous, on voudrait que tu disparaisse de cette ville, comme quoi, on ne peut pas toujours avoir ce que l'on veut ?" Il regarda sa femme, toujours silencieuse, mais qui se délectait de la situation comme un vampire du sang d'une de ses proies. "Allez, on s'en va." Ils passent à côté de Keiju, sans un regard, sans un mot de plus. Rouvrant les yeux délicatement, l'étudiant a le temps de remarquer quelques rires étouffés, quelques regards de pitié, quelques déceptions que ce ne soit pas allé plus loin. Il ramasse le gobelet par terre, et le jette dans la première poubelle sur sa droite, avant de se glisser dans une rue adjacente, coupé du reste des gens. Il se glisse dans un renfoncement du mur, avant de coller ses mains dessus, la tête se laissant tomber vers le sol.

Calme toi.

Sur ses poignets, un tatouage commence à apparaître lentement, près à recouvrir la totalité de ses mains, mais alors que Keiju redresse ma tête, celle-ci arrête son avancée. Se laisser trahir par ses émotions, serait donner raison à cet homme, et c'est bien la dernière chose qu'il veut. Il s'écarte du mur, respire un grand coup, et rigole. Son rire vient se réverbérer sur les murs, un rire qui venait centralisé toutes ses émotions, et un "Putain, c'était pas loin." Sa main vient gratter l'arrière de sa tignasse blonde, et il lâche à haute voix un petit "Bon, du coup j'ai plus rien à boire moi, c'est chiant ça."

Calme toi, Keiju. S'énerver, c'est exposer les gens à un danger, et toi ce que tu veux, c'est les sauver du danger non ? Ce n'est pas ça un héros ? Alors calme toi et souviens toi, tu as décidé de devenir un combattant de la justice, alors accroche toi à cette idée-là et prouve à tout le monde que l'Alter ne fait pas la personne.