J'avais connu la tristesse. Non pas que je fusse apathique ou insensible à certaines choses, mais Séraphine était partie du jour au lendemain sans donner de motif ou me prévenir. Je pensais que j'étais dans son cercle proche d'amis mais il semblerait que non. Alors j'étais très pensive quant à son soudain départ.

Heureusement, avec les années avancées, la classe était naturellement soudée malgré quelques groupes pré-formés depuis le temps, et je m'étais rapprochée d'une autre grande bouche de la classe Assistance ; Hitomi. Ne pas avoir sa langue dans sa poche, en placer une même si ce n'était pas son tour, calmer des excitations intempestives, et d'autres choses que vous aurez comprises. Nous nous étions connues grâce à certaines activités qui impliquaient des collaborations, nous forçant donc à travailler avec autrui.

Pour un jour qui n'impliquait pas d'aller au lycée, j'avais invité Hitomi à sortir un midi en ville pour enchaîner sur une après-midi de sortie entre nous. Des karaokés si le cœur nous en disait, des bornes d'arcade, des parcs et que savais-je d'autre ? Nous allions le découvrir. C'était un peu une sortie « On fait au feeling ».

Sauf que j'avais pas de message de confirmation à l'heure actuelle, 13h11. Je grognai, j'avais pourtant envoyé un message pour m'assurer de sa disponiblité.



Putain elle dormait encore c'te marmotte.

« M'man, j'y vais. »
« Tu n'emmènes pas ta petite sœur ? »
« Je n'ai jamais dit ça et c'est rare que je sorte. »

Ma mère haussa un sourcil avec un fin sourire, alors que ma sœur, qui était vers elle, me fit les yeux doux. Dommage car ça ne fonctionnait pas sur moi.

« Elya, je t'ai déjà dit de ne pas essayer, je m'en moque. »

Elle commença à avoir les larmes aux yeux, ah sérieux ?

« Maman, je veux juste sortir avec une amie. D'habitude je sors seule, je m'en fous, mais là- »
« May, tes mots. »
« Écoutez, j'vais voir ça avec Hitomi, mais si elle ne veut pas, faudra pas m'en vouloir, ok ? »

Ma mère hocha la tête, Elya eut un espoir en souriant. Je soupirai. Je fis un signe -griffu- avant de me diriger vers la sortie.

Je grognai légèrement, je n'avais vraiment pas envie d'avoir ma petite sœur surexcitée dans les pattes. Je sortis promptement pour donner un coup d'ailes et foncer chez Hitomi. L'avantage d'utiliser les cieux était qu'il n'y avait pas de retard ni de bouchon et tous les inconvénients liés aux voitures ou aux piétons.

Après un dérapage dans les airs habituel quand j'arrivai chez elle, je regardai par la fenêtre et grognai. Je m'approchai pour ouvrir sa fenêtre grâce à un coup de griffes ingénieux -et on aurait dit que la fenêtre n'était pas contre ça- pour ouvrir cette dernière brusquement.

« Debout là-dedans ! »

Criai-je normalement, avant que me cri devînt plus rauque et bestial ainsi que légèrement en écho. J'adorais mettre mes atouts d'harpie en avant de la sorte. J'avais foncé pour atterrir lourdement sur le sol de sa chambre, faisant voler quelques feuilles si ces dernières traînaient. Et miracle car je contrôlais ça, je ne griffais pas le parquet.

Imaginez. Imaginez un monde où tout serait parfait. Un monde où le soleil brillerait tous les jours, où chaque journée serait baignée d’une douce chaleur réconfortante, auréolée par un ciel d’un bleu pur et immaculé. Dans ce monde, aucune violence, aucune tristesse, aucune douleur. Dans ce monde, pas de vilains, et donc pas de héros. Tout le monde est égal, tout le monde est beau, tout le monde est heureux. Mon père a ses deux bras, ma mère n’a pas de cernes de trois pieds de long, moi je ne passe pas mes nuits éveillée pour travailler sur mes différents projets … Mon subconscient est vraiment un putain de bisounours.

Mais quelque part, c’était plutôt rassurant de vivre dans un monde pareil le temps d’un rêve. Je m’y sentais bien, légère, libre de tout fardeau. Pas de stress des études, pas de culpabilité quant à mon incapacité à venir en aide à mon pauvre père estropié, pas de soucis à se faire quant à une attaque potentielle de vilain. Ouais, il fallait l’avouer, c’était plutôt reposant de rêver d’un tel monde. Complètement utopique et irréaliste, mais bon, à quoi bon rêver dans ce cas ? Quoi de pire que ne rêver que de vos soucis et tracas du quotidien ? De revivre encore et encore les épreuves de la vie durant votre sommeil, parfois de manière décuplée ? Vous voulez savoir ce qu’il y a de pire que ça ? Quand May Elia traverse votre fenêtre et se bombarde elle-même au milieu de votre chambre en vous hurlant de vous réveiller.

Je sursautai, décollant de tout mon être d’au moins trente bons centimètres de mon lit, avant d’attraper par réflexe mon oreiller pour l’écraser brutalement sur la tête de la personne qui venait de faire irruption dans ma chambre et qui avait hurler avec une voix inhumaine. Le tout, en criant de surprise. Un merveilleux « AAAAAAAAAAAAAAAAAH ! » bien vocal, bien puissant. Marquant parfaitement le sursaut et la surprise de ce réveil des plus … inhabituel, avouons-le. Puis, alors que je cachais ma poitrine nue derrière mon drap, je remarquai que sous l’oreiller, il avait une touffe de cheveux roses. Mais pas ce rose pastel typique des cheveux de mon petit Kirby Hanami, non un rose plus éclatant, plus … flashy, dira-t-on. May Elia. Cette folle.

« M… MAY ?! MAIS T’ES PAS BIEN DANS TÊTE ? QU’EST-CE QUI T’AS PRIS DE DÉBOULER COMME ÇA DANS MA CHAMBRE ?!! » dis-je en agitant les bras dans tous les sens sous le coup de l’agacement, lâchant ainsi le drap qui tomba sur le lit. « Mais t’es complètement malade ! T’as de la chance que je me sois pas endormie avec une clé à molette, sinon c’est ça que t’aurais prit sur la tronche au lieu de mon oreiller ! ABRUTIE VA ! »

Puis, après avoir bien extériorisé toute l’adrénaline que mon cerveau m’avait balancé dans les veines suite à ce réveil pour le moins atypique, je vis du coin de l’oeil mon téléphone dont la petit LED clignotait, indiquant plusieurs messages non lus. Je le pris alors pour remarquer les messages de la harpie.



Je regardai alors mon écran. Puis May. Puis mon écran. Puis j’écarquillai les yeux. Notre sortie entre potes. J’avais complètement oublié, et donc je m’étais encore couchée vers cinq heures du matin après avoir passer la nuit à bricoler. Quelle imbécile je faisais, bordel.

« Oh… Merde. Tu … Euh je … J’avais complètement zappé que c’était aujourd’hui qu’on devait sortir ensemble ! Sinon tu penses bien que j’aurais pas fait la grasse mat’ comme ça ! »

Je me sentais bien conne, d’un coup. Bon, pas tant que ça non plus. Après tout, dans les faits, elle venait quand même d’entrer par effraction dans ma chambre, cette tarée de service. Mais bon, d’un autre côté, May était à mes yeux un peu comme Hanami. Malgré ses défauts évidents, malgré son caractère bien trempé et parfois sacrément casse-pied, je ne pouvais m’empêcher de l’adorer. Si je voyais Hanami comme la petite sœur que je n’avais jamais eu, May était presque comme une jumelle. Le même côté grande gueule, la même désinvolture vis à vis du regard des autres. On se ressemblait sur pas mal de points, et c’était surtout pour ça que je l’appréciais.

Comme prévu, ça l'avait faite sursauter. Je ricanai plus tranquillement avant que mon ricanement fût plus sonore avec l'oreiller lancé. Je le rattrapai alors avec mes griffes -délicatement pour ne pas le déchirer ou transpercer- pour le mettre contre ma cuisse, mon autre main griffue sur mon autre hanche, prenant une posture proche de la fierté de mon acte.

Je ne faisais que lui sourire niaisement, comme une enfant fière de sa bêtise. Ça lui apprendra à me poser un lapin ! Et puis c'était marrant de la voir réagir comme ça.

« Si t'avais osé envoyer une clé à molette, prie pour que ça me tue car je te l'aurais fait regretter. »

Ma voix entre le sérieux et l'amusement, la situation presque absurde était drôle vue de l'extérieur. Elle dormait seins nus ? Après ce type d'informations n'était pas directement dit durant les conversations, je concevais. Mais c'était plutôt agréable -de dormir ainsi hein-. Je m'en moquais sinon, j'étais une femme, je savais comment nous étions constituées. Même si, effectivement, j'avais un physique Harpie, je n'en restais pas moins une femme hein. J'avais juste eu le réflexe de baisser le regard, suivant le mouvement du drap tombant mais c'était tout, mon regard ne quitta maintenant plus le sien.

Les clignotements de son téléphone lui mirent la puce à l'oreille, et après vérification avérée, elle comprit. Sérieusement ? J'étais peut-être casse-cou à ma façon mais je ne m'amusais pas à faire ça sans motif valable. Mon regard se plissa comme pour la juger.

« Je ne viens jamais comme ça si je n'ai pas de raison. Et oui, j'ai bien remarqué que t'avais zappé, Hitomi. »

Grognai-je légèrement, ayant bien appuyé sur son prénom, tout en la regardant avec un mauvais regard que je dissipai immédiatement. Je lui relançai l'oreiller contre elle au niveau de son torse pour le cacher.

« T'avais fait tomber ça, attention. Et, tant que t'es là et que tu t'habilles, j'ai une question sérieuse à te poser. »

Un soupir quitta mes lèvres, un peu d'exaspération. Je grattai ma nuque de mes griffes, ne voulant pas faire cette demande presque enfantine, avant de demander :

« J'ai ma mère qui a supposé que je ramène ma petite sœur, avec bien sûr la nommée à ses côtés pour me forcer à accepter. Le truc étant que je pensais sortir entre amies, donc j'ai naturellement dit non, mais ma sœur a plus ou moins soudoyé notre mère. Néanmoiiiiins, j'ai dit que je te demanderais si tu voulais, c'est juste que nous serons plus... limitées sur nos paroles et gestes. Car c'est une balance à son âge, ma mère te dira rien, ou te fera une légère remontrance, mais moi je risque de morfler. Tu peux dire non, j'ai prévenu qu'un refus pouvait se faire. »

Je haussai les épaules, j'adorais ma petite sœur mais des fois, j'appréciais quand elle n'était pas dans mes pattes. Elle allait courir partout, être insupportable, poser beaucoup de questions, à autrui comme à Hitomi. Elle ne savait pas dans quoi elle se fourrait si elle acceptait.

Elle savait que j'avais une petite sœur ? J'en avais parlé ? Je m'en rappelais plus...

Je poussai un grand soupir. Celle-là, j’avais vraiment l’impression de me voir dans un miroir quand on parlait, par moments. Tandis qu’elle me grognait dessus, j’enfilai rapidement un t-Shirt avant d’ouvrir la porte de ma chambre pour rassurer mes parents qui montaient déjà l’escalier, attirés par le rafut de l’autre cervelle d’oiseau et de mon cri de surprise au réveil.

« C’est rien, maman, c’est May qui me rend une petite visite. J’avais laissé ma fenêtre ouverte exprès, t’inquiète ! » dis-je avant de claquer la porte et de m’y adosser, me laissant ensuite glisser jusque par terre en soupirant. « T’en tiens quand même une sacrée couche toi. Bref, tu voulais me demander un truc ? »

Je vis alors la harpie se gratter la nuque, l’air presque un peu gênée, avant de m’expliquer la situation. Sa petite sœur ? Je ne savais même pas qu’elle avait une petite sœur, car elle ne m’en avait tout simplement jamais parlé. L’avait-elle oublié ? S’en fichait-elle au point de ne pas l’évoquer auprès de ses amies ? Peu importe, la question c’était si j’étais d’accord pour qu’elle nous accompagne. D’un côté, j’avais envie de dire oui, car j’étais curieuse de rencontre une mini May. De l’autre, j’avais vraiment envie de passer cette après-midi juste avec elle. Entre filles. Pouvoir se lâcher complètement, se laisser aller, sans aucun filtre, chose qui ne serait pas aisée avec une petite gamine dans les parages.

« C’est quoi le soucis, ta mère peut pas la garder ou bien elle veut juste te foutre ta petite sœur dans les pattes ? Je t’avoue que je suis un peu partagée … Je suis curieux de découvrir mini May, vu que tu as oublié de me dire que tu avais une sœur, mais de l’autre, j’ai envie de profiter de toi … En solo. » dis-je sur un ton volontairement tendancieux. Oui, j’aimais bien l’embêter avec ce genre de remarque. De toute façon, c’était pas comme si elle venait de me voir quasiment à poil y a pas une minute auparavant. Et puis c’était un peu un jeu entre nous, se balancer des petites remarques comme ça. « Au pire, on passe l’après-midi toutes les deux, on en profite, on s’éclate, et le soir je viens chez toi et on passe un peu de temps avec ta sœur, t’en dis quoi ? »

J’aimais pas l’idée de devoir trancher, alors autant chercher une sorte de compromis. Pendant que May me répondait, je reniflai mes dessous de bras et grimaçai : il était urgent que je prenne une douche. Hors de question de sortir alors que puait comme un garagiste. Je me redressai et allait vers mon armoire sans pour autant arrêter d’écouter mon amie, et prenait des affaires propres.

« Bon, en attendant, je te demanderai de m’attendre un moment, je vais quand même aller me prendre une douche rapidement avant qu’on sorte. Tu peux toujours aller dire bonjour à mes parents, ils seront contents de te voir ! »

Puis je filai à la douche, jetant mes fringues dans le bac à linge avant de me jeter sous la douche, soupirant de bonheur quand je sentis l’eau chaude couler sur ma peau. Je fis néanmoins au plus vite afin de ne pas faire attendre davantage l’oiseau de mauvaise augure, que je ne connaissais pas pour être la personne la plus patiente du monde.

Mon entrée en matière était si bruyante ? C'était plutôt la suite qui avait dû les surprendre. Un énième ricanement s'échappa de mes lèvres quand je l'entendis répondre à ses parents. Même si elle s'était encore couchée tard à cause de ses travaux nocturnes en continu qu'elle-même s'infligeait, elle aurait pu mettre un réveil ! Bref.

« Non, ma mère veut juste mettre Elya dans mes pattes. Et ne sois pas si curieuse et pressée de la voir, c'est une pile trop électrique. »

Soupirai-je légèrement. Je hochai la tête la tête à sa proposition. C'était un bon compromis pour nous deux, je n'y avais pas pensé.

« Ma mère étant trop gentille, elle acceptera de te voir, et certainement manger à la maison. Et non, on mange normalement, si tu osais faire une blague sur nos Alters. »

Grognai-je presque, nous avions peut-être l'apparence proche des oiseaux, non, on ne mangeait pas de vers et tous les aliments qu'un oiseau pouvait béqueter.

« En fait, elle a du mal, et moi aussi un peu, à la faire sortir seule. Elle a du mal à se faire des amis à cause de son apparence. Ma mère était assez détendue à son âge, et s'en moquait. Moi j'étais plutôt à foncer dans le lard de ceux qui osaient me regarder de travers ou insulter sur mon Alter. J'avais quelques soucis, mais grâce à ça, on me respectait. J'avais pas d'amis mais j'm'en moquais. Ma sœur, quant à elle, est trop... gentille et passive. Donc on a peur qu'elle se laisse faire et qu'elle ne nous dit rien. C'est pour ça qu'elle veut qu'elle soit souvent avec moi quand je ne suis pas en cours, elle sait que je la protégerai des harcèlements. Et vaut mieux réellement pas que je voie quelqu'un l'insulter ou nous insulter, je pense que je passerai du côté des vilains, si tu vois ce que je veux dire. »

Je grinçai des dents en imaginant des saletés d'autres gosses la harceler. Ce qui me détendit, c'était de la voir se renifler et grimacer, je ricanai.

« Va prendre donc ta douche mais dépêche-toi, tu m'as déjà fait perdre suffisamment de temps. Je vais prévenir ma mère. »

Je sortis mon téléphone, dissimulé dans mes vêtements, pour appeler tandis qu'Hitomi partit à la douche.

« Allô maman ? Ouais, c'est May. Hitomi propose qu'on fasse notre journée entre nous deux, et elle vient ce soir, comme ça Elya verra mon amie. Ça te va ? Et ça lui va ? Ouais ? Bah cool, oui, j'avais dit que tu proposerais de manger donc elle est au courant. Ok, à ce soir. Ouais, bisous. »

Je rangeai mon téléphone pour descendre et saluer les parents d'Hitomi.

« Bonjour à vous. C'est toujours bruyant quand je suis là, désolée. »

Je ricanai, le « désolée » était presque sarcastique. Il était impossible pour elle et moi d'être silencieuses et discrètes, où on passait, le bruit trépassait !

Avec deux grandes bouches telles que les nôtres, nous étions détestées dans les lieux clos et silencieux comme les cinémas, bibliothèques, etc...

Tandis que l’eau ruisselait sur ma peau, je me repassai la fin de notre conversation dans la tête.

Une pile trop électrique, hmmm ? Ma chère May, tu aurais dû mieux choisir tes mots, car maintenant j’avais encore plus envie de la rencontrer, ta petite sœur. Une mini May surexcitée alors que le modèle original était déjà pas mal à ce niveau, je demandais à voir. Néanmoins, si elle semblait blasée en parlant de la façon dont sa mère voulait lui refourguer la garde sa sœur, je me rendis vite compte que sous ses airs dédaigneux, elle cachait l’inquiétude d’une vraie grande sœur aimante. Quoi de plus normal, après tout ? Elle m’expliqua qu’elle et sa mère craignaient que la petite subisse des moqueries à cause de son apparence d’oiseau, et qu’elle essaie de le leur cacher. Il était vrai que si les alters étaient aujourd’hui devenus la norme et qu’il n’était pas rare de croiser des personnes avec des mutations physiques, certaines pouvaient être jugées plus « disgracieuses » que d’autres. Bien que personnellement, je n’aimais pas du tout ce terme ni cette façon de voir les choses.

Dans une moindre mesure, je pouvais un peu comprendre ce dont parlait May. Certes, je n’avais pas de serres et de griffes, ni de plumes sur les bras, mais avec ma carrure inhabituelle pour une femme, surtout au Japon, j’avais moi aussi souvent subi des remarques parfois très blessantes sur mon physique. Et au final, May comme moi, on s’en fichait pas mal. Moi, je jouais la carte de l’indifférence, elle du dédain. Chacun son truc. Mais pour une gamine encore en pleine construction, c’était une toute autre histoire, et pas sûr qu’elle ait cette même force de caractère pour encaisser les moqueries de plein fouet. Cela dit, avec May comme grande sœur, elle était bien protégée, et nul doute qu’au premier petit con qui irait lui causer du tort, elle le recadrerait.

« Je comprends parfaitement ce que tu veux dire. T’auras remarqué que j’ai pas non plus un physique de mannequin. Alors, d’accord, mon physique n’est peut-être pas aussi atypique que le tiens ou celui de ta mère, mais crois-moi, j’en ai bouffé des moqueries et des insultes, au simple prétexte que je suis une armoire à glace doté d’une paire de nibard et non d’un set trois pièces. Du coup, je peux comprendre ce que tu ressens vis à vis de ta petite sœur, et de ta famille en général. Mais t’en fais pas, tu passeras jamais côté vilain, vu que si jamais ça arrive, je leur aurai déjà décroché la mâchoire, à ces abrutis. » dis-je alors en la regardant avec un sourire en coin, lui adressant un clin d’oeil.

May était comme Hanami pour moi : une personne très chère et importante à mes yeux. Certes, la nature de notre relation était différente. Hanami était la petite sœur que je n’avais pas, ma Elya à moi, si on voulait, là où May était plus mon égale, une amie. Je ne la voyais pas comme une simple connaissance, ou encore une sœur. Non, elle était plus que ça. Je n’aurais su décrire précisément comment je la voyais. Juste, je tenais à elle.

J’étais donc ma douche, à repenser à tout ça. May … Au final, qu’est-ce qu’elle était vraiment pour moi ? Un simple reflet, une autre moi ? Une grande gueule qui n’avait pas peur de dire les choses, qui se fichait du regard des autres, qui s’assumait comme elle était ? Oui, c’était ça. Elle était comme moi. Naturellement que nous étions devenues amis, donc. Des amies … Des amies ? Je me secouai alors la tête frénétiquement, chassant une pensée que je n’aurais jamais cru avoir un jour, et tournant le robinet pour que l’eau devienne froid, histoire de me calmer un peu. Et bien que j’avais volontairement changer la température de l’eau, le changement de température m’arracha un cri.

« AH PUTAIN SAMERELIPOPETTE C’EST FROID ! »

Finalement, je sortis de la douche, me séchai et m’habillai au plus vite. Quand j’arrivai en bas, May avait déjà entamé la discussion avec mes parents. Je vins alors m’asseoir à la table avec eux, acceptant volontiers le café que ma mère me proposait.

« Hitomi, tu aurais pu nous dire que May viendrait te chercher.
- Désolé, j’avais complètement zappé … J’étais tellement prise par mes devoirs et mes projets d’études que ça m’était sorti de la tête.
- Tu en fais beaucoup trop, ma chérie, comme d’habitude. » intervint mon père. « Je sais que tu travailles dur pour décrocher ton diplôme, mais si tu continues à te surmener, tu n’arriveras qu’à t’épuiser pour rien. Comment veux-tu aider les héros si tu n’es pas capable de rester éveillée, hm ?
- Je sais papa … mais j’y peux rien, c’est plus fort que moi !
- En attendant, tu as un jour de congé, alors profites-en pour aller t’amuser avec May. Détends-toi un peu, pense à toi avant de penser aux autres, pour une fois, hm ? Quant à toi, May … » mon père se tourna alors vers la harpie. « Je te confie la lourde tâche de l’empêcher de se faire du soucis pour qui que ce soit. Fais en sorte qu’elle s’amuse et qu’elle passe un bon moment, s’il te plaît. Je peux compter sur toi ? »

Je rabattis mes longs cheveux blonds devant mon visage, me cachant derrière devant l’embarras dans lequel j’étais grâce à mon père. Cet adorable couillon. Attention, je l’aimais plus que tout, mais quand il faisait ça, j’avais envie de me cacher dans un trou et de ne voir personne tellement je n’arrivais pas à accepter qu’il se préoccupe ainsi de moi. Et pourtant, quoi de plus normal pour un père aimant que de se préoccuper du bonheur de sa fille ? S’il n’avait pas déjà tant donné pour moi, peut-être que je n’aurais pas eu cette réaction.

Finalement, après un bon café, je pris May par le bras et l’emmenai avec moi, direction le centre ville pour aller écumer les salles de jeux et les karaokés. On avait toute l’après-midi devant nous, et je comptais bien en profiter. Mais pourtant, à cet instant, ce ne fut pas la perspective de cette journée à s’amuser qui occupait mon esprit. C’était plutôt la sensation de son plumage sur ma peau. Une sensation douce, agréable, chaleureuse. Je me tournai alors vers elle, observant ses yeux émeraudes qui, tout à coup, semblaient envoûtants. Utilisa ma vision d’aigle, je la scrutai sous toutes ses coutures. Elle avait une silhouette vraiment remarquable, mais c’était son regard qui me captivait. Un regard dans lequel je m’étais tellement perdue que je ne vis même pas le poteau devant moi jusqu’au moment où je me fracassai le crâne contre.

« AÏEUH ! Mais bordel, qu’est-ce qu’il fout là, ce … Poteau. Ouch. »

Je me sentais alors complètement idiote, et surtout complètement gênée, puisque May allait sans doute me demander pourquoi je l’avais fixé aussi intensément au point de ne même pas voir que j’avais foncé droit sur un poteau au milieu du trottoir.

Ah ? À ce point ? Je dérangeais ? C'était comme ça que je l'avais prise, cette réflexion. J'avais haussé un sourcil en entendant sa mère dire ça. Je me disais qu'elle ressemblait un peu à la mienne. Même si la mienne aurait été plus ouverte peut-être. Bref, c'était pas le moment pour ça.

« J'arrête pas de lui dire, faites-moi confiance. »

Dis-je pour appuyer leurs propos sur ses trop gros efforts. Je grognai même un peu envers Hitomi après ma phrase si elle osait répliquer, j'avais croisé les bras sous ma poitrine pour la juger du regard.

Je me tournai néanmoins en perdant un peu mon attitude agressive quand son paternel me parla. J'eus un petit sourire en coin.

« Lourde tâche ? Je le fais habituellement, elle n'aura pas le temps d'y penser avec moi. Donc vous pouvez compter sur moi. »

Je ricanai légèrement -avec toujours ce petit rire en écho volatil-. Je les vouvoyais par respect, j'étais pas non plus assez familière pour faire cela. Et voir ses parents s'inquiéter était une pâle copie des miens envers moi. Ils savaient que j'étais du genre à foncer dans le tas plutôt qu'ignorer ou parler. Vous vouliez faire les malins avec vos mots ? J'allais faire la maligne avec les griffes, je pouvais me montrer aussi tranchante que des mots.

Je voyais Hitomi dans l'embarras, et j'étais partagée entre l'amusement de la voir ainsi et la compassion car je réagirais immédiatement de la même façon. Quand ma sœur me lançait mille compliments devant mes parents parce-que je ne faiblissais pas, que j'étais au lycée, que j'avais envoyé balader -pour rester polie- des abrutis -encore une fois-, j'avais concrètement envie de disparaître de la surface de la Terre.

Et sans même me prévenir ou crier garde, elle m'emmena immédiatement dehors, je fis un signe de griffes pour leur dire au revoir au cas où si je ne les revoyais pas car... avec Hitomi, tout était possible.

Alors je repris un air fermé, comme à mon habitude, mon regard légèrement blasé se tourna vers Hitomi qui se mit à me fixer longuement et... elle me jaugeait ?! Et je pourrais jurer voir qu'elle utilisait même son Alter pour... je ne savais quelle raison. J'étais pas gênée ni admirative, juste blasée de me demander ce que j'avais.

Je grognai en la regardant par un presque instinct, avant d'entendre un cognement d'une tête sur un poteau. Je me mis à rire à gorge déployée en la regardant, quittant le visage d'une personne blasée. Je ne pus pas m'arrêter pendant dix bonnes secondes avant de tendre mes griffes vers elle.

« Bah alors, tu regardes pas devant toi ? En même temps tu me regardais pour aucune raison. J'dois te faire penser à autre chose mais je pensais pas à ce que tu m'mates comme ça. T'as découvert autre chose de nouveau chez moi ? Car je ne cache rien sur moi et je ne cache pas d'autre atout d'oiseau si tu te demandais. On voit TOUT et j'peux pas y faire autrement, je peux pas rétracter. Contente ? »

Je ricanai légèrement en la relevant sans grand effort.

Bon sang, qu’est-ce que j’avais mal à la tête. Et l’autre crâne de piaf qui se foutait de ma gueule … Ah je la retenais, celle-là. T’en fais pas, ma chère May, à la première occasion je te rendrai la pareille. Pendant qu’elle m’aidait à me relever, la voilà qui repartait dans ses grands discours sur son apparence, qu’elle ne cachait rien, tout ça. Tandis que je me frottais la tête à l’endroit où je m’étais cognée, je la regardais en soupirant.

« May … Tu sais bien que je m’en balance de ton apparence d’oiseau. T’es bien comme tu es, alors arrête de me ressortir ton exposé sur ton alter à chaque fois, s’il te plaît. Je sais bien que tu caches rien et que tu peux pas les faire disparaître. Et tu veux que je te dise un truc ? Même si tu pouvais, j’voudrais pas que tu le fasses. »

Je vins alors l’attraper par les épaules et la tirai vers moi pour embrasser sa joue en riant. J’adorais l’embêter de la sorte, et ce peu importe sa réaction. Par contre, je continuai de me frotter la tête, non pas parce que j’avais encore mal, la douleur commençait déjà à s’estomper, mais parce que je ne savais pas trop comment lui dire que si je l’avais regardée aussi intensément, c’était parce que ses yeux m’avaient captivée, même carrément envoûtée. Je ne savais même pas moi-même pourquoi, mais quand nos regards s’étaient croisés, j’avais eu une sensation étrange, que je n’aurais su décrire.

« Bon, sinon, quand t’auras fini de te payer ma tronche, on pourra peut-être aller à la salle d’arcade, non ? On va pas rester là toute la journée quand même ? »

Je lui repris alors le bras pour la traîner derrière moi. Cette fois, reste focus sur ce qu’il se passe devant, Hitomi. Ne regarde pas à nouveau ses yeux. On montait dans le bus, direction le coeur du centre-ville. Ne regarde pas ses yeux. Je l’écoutai discuter, me raconter tout ce qu’elle avait à me raconter. Sa voix était enivrante … Ne regarde pas ses yeux. Je levai le regard vers le panneau lumineux qui indiquait les arrêts. Encore environ dix minutes de trajets, s’il n’y avait pas d’embouteillages sur la route. Ne regarde pas ses … Et merde. Son regard m’avait harponné à nouveau.

Je me perdis à nouveau dans les stries de jade de ses yeux, et à nouveau cette sensation. Des fourmillements dans le bas du ventre, l’impression que mon corps entier flottait, de légers vertiges et surtout, mon coeur qui battait la chamade de plus en plus fort. Bordel, il m’arrivait quoi là ? Plus j’y repensais, plus ça me rappelait ce que ma mère m’avait décrit quand elle avait rencontré mon père la première fois : c’était de … l’amour ?

Je secouai frénétiquement la tête. De l’amour ? Et puis quoi encore ? Je la connaissais depuis un moment déjà, cette harpie. Si ç’avait vraiment été de l’amour, il se serait déjà manifesté … non ? Non, sans doute était-ce simplement … de l’attirance ? Bordel, c’était pas mieux. C’était limite pire. Non, non, ça pouvait pas être ça, non ! Ou bien alors, je m’étais menti à moi-même tout ce temps ? Depuis qu’on se connaissait, depuis qu’on était devenues amies, j’éprouvais tout ça mais je le refoulais au fond de moi ? C’était une hypothèse envisageable : après tout, j’étais la championne dans ce domaine. Mais pourtant, je refusai d’y croire. May était une amie … Une très bonne amie, mais pas plus …

Et si … et si elle devenait plus qu’une amie ?

Sauvée par le gong, car je sentais déjà fuser la pluie de question de l’oiselle sur mon air absent et mon comportement bizarre dans le bus, ce dernier avait atteint notre arrêt. Je la pris alors encore une fois par le bras pour la faire descendre. Bientôt à la salle d’arcade, j’allais pouvoir noyer le poisson en attirant son attention sur les nombreux jeux. C’est ça Hitomi, contente toi de passer une bonne journée en bonne compagnie. Avec ton amie.

C'était pour ça que je m'étais bien entendue avec elle, Hitomi s'en foutait totalement de mon apparence. Cet Alter était bien sous certains angles et beaucoup d'autres, non. Mais j'allais éviter de me répéter encore et encore.

Je lui ricanai encore sous le nez d'un air narquois avant de hausser un sourcil au baiser, je soupirai légèrement. Elle était trop tactile, effectivement. J'étais tactile que pour défoncer ceux qui osaient se moquer de moi ou de ma famille sinon j'étais assez rudimentaire sur énormément de points. Je lui grognai légèrement dessus quand elle mentionna -enfin sous-entendit- que je retardais notre journée, avant de la suivre, un peu forcée -sans que je n'y misse une résistance-.

Nous nous installâmes et je lui dis :

« Bon, j'vais te raconter un peu ma famille. J'ai été souvent évasive sur le sujet. »

Elle hocha la tête pour me confirmer qu'elle allait écouter, et enchaînai alors :

« Ma mère, ma sœur et moi avons le même Alter. Pour l'instant, nos couleurs se rapprochent, ma sœur est davantage rosée, et ma mère à peine plus rouge. C'est bizarre. On a pas remarqué de trait différent, genre on a les mêmes pouvoirs, il semblerait. On vole, on peut lancer des plumes, des griffes et j'en passe. »

Hitomi semblait à fond dans la conversation, ah ? Bon bah autant continuer.

« Ma sœur est une pile électrique comme je l'ai dit. Elle vient très souvent me voir pour me demander à voler, utiliser les pouvoirs de Harpie, mais c'est pas donné. Elle le fera mais petit à petit. Le truc c'est qu'elle vient n'importe quand, aussi bien le matin très tôt et que le soir très tard. Sinon j'essaie vraiment de l'aider mais bon... si tu viens, je vois déjà le schéma, elle va venir t'embêter à la câliner, à la faire voler, à te raconter tout et n'importe quoi. Si là, tu trouves que je parle beaucoup, ma sœur c'est rien à côté. »

Je grattai l'arête de mon nez par exaspération d'avance. Je haussai un sourcil en regardant Hitomi qui semblait à fond dans quelque chose.

« Hitomi ? J'espère que tu m'as écoutée sinon ça va mal aller. Hitomi ? Hit- ! »

Je m'interrompis en entendant notre arrêt annoncé, je la vis être de nouveau entreprenante et je fus encore tirée sans pouvoir réagir.

« Bref, ne sois pas pressée d'être ce soir, mais tu verras par toi-même. »

Je haussai les épaules avant de la suivre toujours en étant à son rythme. Je regardai au loin les magasins et le coin geek.

« Je ne suis peut-être pas une pro' des jeux vidéos mais j'espère bien te faire galérer à gagner, histoire que tu ne fasses pas que gagner et que tu t'ennuies, tu vois ? Après tout, je dois te faire passer une bonne journée sans que tu penses au travail et aux études ! »

Je tirai légèrement la langue dans un ricanement presque bestial -enfin, proche de l'oiseau-.

Je devais l’avouer, entendre May me parler autant de sa famille m’avait un peu surprise. Elle qui d’ordinaire n’aimait pas parler de sa vie privée en dehors du lycée, c’était pour le moins déroutant de la voir déballer ainsi tout ce qu’elle pouvait me dire sur sa mère et sa sœur. Après, il y avait une sorte de logique là dedans puisque j’allais les rencontrer le soir même. Et encore une fois, malgré mes avertissements, May remettait sur la table son alter. Bon, cette fois-ci, elle n’était pas non plus sur la défensive, elle se contentait de faire un simple descriptif de leur alter en notant le peu de différences entre elles trois. Pour ma part, je n’y voyais pas grand-chose de surprenant. Il était logique que May et sa sœur héritent de l’alter de leur mère. C’était simplement affaire d’une probabilité assez rare que les deux aient EXACTEMENT la même mutation, mais à part cela, rien ne me surprenait vraiment.

Quand elle se mit à parler de sa sœur, cependant, elle capta bien plus mon attention, et ce malgré le fait que j’étais constamment en train de me concentrer pour éviter de croiser à nouveau son regard. Une vraie pile électrique, ça je crois que je l’avais compris, ma chère May. Cela dit, la description qu’elle en faisait m’évoquer simplement une gamine en admiration devant sa grande sœur, et qui avait la chance de posséder le même pouvoir qu’elle. Normal donc qu’elle cherche à apprendre auprès d’elle. Vu que May maîtrisait déjà son pouvoir et qu’il était identique, il était logique qu’elle lui demande conseil. Bien que je puis comprendre que ma harpie préférée aurait voulu que la petite s’adresse davantage à la mère qu’à elle.

Finalement, une fois hors du bus, May ne se priva pas de me rappeler la « mission » que mon père lui avait confiée. Je soupirai alors en posant ma main sur mon front, prenant une pose exagérément dramatique et la regardant avec un sourire amusé.

« Ma chère May, ce n’est pas la victoire qui m’intéresse, mais plutôt de vous voir gigoter sur les jeux de danse de la salle d’arcade ! » rétorquai-je alors sur un ton hautain, prenant une voix fortement snobinarde et penchant ma tête en arrière, le bout de mes doigts posés sur le front. « Rien ne me ferait plus plaisir que de voir votre noble plumage se trémousser gauchement sur une piste de danse au son d’une musique de dépravés ! Ho ho ho ho ! »

Puis, ce faux rire ridicule en devint un vrai. Comme May un peu plus tôt, je partais dans un fou rire inarrêtable, rien qu’à imaginer la pauvre harpie en train de danser et de gigoter dans tous les sens sur des jeux d’arcade de danse qui n’étaient clairement pas adaptés à ses pieds beaucoup plus grands que la moyenne.

Je séchai les petites larmes de rire qui avaient réussi à pointer le bout de leur nez au creux de mes paupières et regardait mon amie, me doutant de sa réaction. Elle allait me faire la tronche, à n’en pas douter. Mais j’espère au moins qu’elle se rendait compte que je ne faisais pas ça pour me moquer d’elle par pure méchanceté. C’était simplement de la taquinerie, comme j’étais si douée pour en faire. Parce qu’au fond, plus je la regardai, plus je me disais que son apparence, bien loin d’être effrayante ou repoussante, lui donnait un air si singulier qu’elle en devenait presque … envoûtante.

Rien que quand elle avait commencé sa phrase avec "ma chère May", je sentais déjà la connerie arriver vivement. Et...

. . . Sérieusement ? Elle prenait la voix aussi vantarde devant moi ? Je grognai en la regardant, montrant mes crocs.

« Tu trouves ça drôle hein ?! Je sais danser ! Je sais utiliser mes pattes sans paraître cruche, gauche ou stupide ! »

Je serrai les poings avant de la pointer d'une griffe en grognant encore. Je finis par baisser mon doigt non humain pour croiser les bras sous ma poitrine pour avoir un sourire amusé en coin. Bien sûr que je savais qu'elle se moquait gentiment de moi mais j'avais le sang chaud et ma première réaction avait été faite par instinct. Je roulai des yeux en la voyant me regarder de nouveau, je soupirai.

« T'as fini avec ton regard ? Allons-y, j'vais te montrer que je sais jouer et danser. »

J'eus un léger grognement proche de l'animal avant de reprendre la route en lui lançant un énième regard pour la dépêcher de me suivre. Je voulais vivement changer ses idées, pas par demande de ses parents, c'était mon intention depuis le départ. Nous pouvions juste dire qu'ils m'avaient aidée.

Une fois que nous arborions les rues, je dis alors :

« D'ailleurs je serais arrivée beaucoup plus vite en volant qu'en bus, ça faisait très longtemps que je n'avais pas pris les transports en commun. Sauf que je ne peux pas transporter une personne, peut-être une enfant et encore, ça gênerait mon vol. Vois ça comme un avantage, j'aurais pu refuser pour t'attendre là-bas, car je serais logiquement arrivée plus vite. Bref, c'est là. »

Je pointai du doigt les deux portes avant de les passer par détecteur de mouvement et regarder la salle.

« On a les bornes, un petit coin pour manger et boire un truc rapide, une piste de danse.. »

La dernière parole fut dite en regardant du coin de l'oeil Hitomi avant de m'avancer vers les bornes d'arcade. Je cherchai une borne d'arcade précise, je ne voulais pas un jeu d'aventure à deux, ou du moins pas maintenant, je voulais directement une confrontation pour nous lâcher un maximum, et... trouvé !

« On va commencer tout doux. Avec un Mortal Kombat, en un contre un. »

Petit ricanement avant de me mettre sur une borne, celle de l'adversaire était contre, en mode face-à-face. Je craquai mes griffes en les étirant, en entrelaçant mes "doigts" ensemble et tirant devant moi. J'étais prête et j'allais bien lui faire comprendre.

« Ne crois pas gagner car je n'ai pas de doigt. Je vais te mettre la raclée. »

Je souris tendrement, mais ça se transforma rapidement en malice. L'amusement était encore présent, j'étais aussi là pour penser à autre chose, et après avoir saoulé à parler de ma famille, j'aimerais me vider l'esprit aussi.

Bingo, jackpot, le gros lot. J’avais visé juste, dans le mille. Toutes ces expressions et bien d’autres me passaient par la tête tandis que May avait exactement la réaction que j’avais espérée. Elle qui démarrait toujours au quart de tour, je la savais maintenant remontée à bloc et prête à en découdre, quelque soit le jeu sur lequel on s’affronterait. En revanche, encore une fois, mon regard insistant semblait la déranger plus qu’autre chose. Désolé ma chère May, mais je n’y pouvais rien si tes yeux semblaient vouloir harponner les miens en permanence … À cette seule pensée d’ailleurs, je sentis le rouge commencer à me monter aux joues et me secouait donc la tête. Ressaisis toi, Hitomi, ressaisis toi !

May me lança alors un regard, presque de défi, pour m’inviter à la suivre. Il était vrai que nous étions descendues du bus, mais la salle était encore à quelques minutes de marche de là où nous nous trouvions alors. Ainsi, tout en la suivant, je l’écoutai m’expliquer à quel point elle aurait pu aller plus vite en volant directement jusqu’à destination, et comment elle me faisait l’honneur d’avoir accepté de m’accompagner dans le bus plutôt que de prendre les devants et de m’attendre.

« C’est vrai que je t’envie de pouvoir voler de la sorte, ça doit être merveilleux, cette sensation de liberté une fois dans les airs … Par contre, ne me fais pas rire, m’attendre sur place ? T’aurais jamais eu la patience. Sans parler que je t’ai déjà faite pas mal attendre ce matin. »

Je lui mis alors un petit coup de coude amical, lui faisant un clin d’oeil en souriant. Il était vrai que la patience n’était clairement pas la vertu principale de May, même si depuis que je la connaissais, elle s’était quand même bien assagie sur pas mal d’aspects. Mais je reconnaissais volontiers que l’idée d’attendre quelqu’un qui au final avait simplement oublié son réveil et ne se lèverait pas avant la fin de l’après-midi, ç’avait de quoi mettre la patience de n’importe qui à rude épreuve.

Nous arrivâmes finalement à la fameuse salle d’arcade, où tout était présent pour notre plus grand plaisir. Bornes d’arcade en tout genre, tables à manger, stands de boissons et de nourriture … C’était juste parfait. L’idéal pour passer une journée complètement déconnectée du reste du monde, et ne penser qu’à s’amuser. Le genre de journée que je n’avais que trop rarement l’occasion de passer, la seule autre personne avec qui je m’autorisais de tel moments de détentes étant Hanami. Je suivis alors la Harpie jusqu’à une borne d’arcade du jeu Mortal Kombat, alors que celle-ci me disait vouloir commencer en douceur.

« Hehehe … En douceur, tu dis ? T’aurais du choisir un autre jeu, j’suis une vraie crack à Mortal Kombat. » May rétorqua alors qu’elle allait me mettre une raclée. Intéressant. Ma stratégie avait réellement payé. « Ne sois pas si présomptueuse, attends d’avoir triomphé avant de crier victoire, mon coeur … »

Trop prise dans l’excitation du défi, je n’avais même pas réalisé le surnom que je venais d’employer pour m’adresser à elle. Quand je m’en rendis compte, j’étais déjà cachée derrière ma propre borne d’arcade, ce qui me permit de laisser le rouge me monter aux joues sans avoir à le cacher. Cela dit, je redoutais au fond de moi la réaction de May à ce petit surnom qui était venu de lui-même. Soit elle réagirait de la façon dont je ne voulais pas qu’elle réagisse, c’est à dire en cherchant à comprendre pourquoi, soit elle se dirait que c’était simplement pour la taquiner. Et j’espérais sincèrement que ce serait la seconde option.

Mais sans plus attendre, je concentrai mon attention sur le jeu. Je choisis mon personnage, May le sien, et le Kombat put enfin commencer. Et le moins que l’on pouvait dire, c’est que j’étais plutôt rouillée. Oui, j’étais très doué à ce jeu, mais depuis mon entrée en troisième année, je n’avais plus touché à une console. J’étais donc complètement à la ramasse, et May remporta le premier duel, ce qui ne manqua pas de me faire pester contre moi-même, gonflant les joues comme le ferait Hanami. Tu vas voir, ma petite harpie, ce n’est que partie remise, le temps que je reprenne mes marques …

Et cela ne manqua pas. Second duel, victoire écrasante de ma part. Je penchai alors la tête sur le côté pour adresser à May un sourire narquois et empli de fierté suite à ma victoire écrasante.

« Désolé de t’avoir donné de faux espoirs, ma belle. Ta victoire, c’était juste le temps que je reprenne mes marques. Ça fait quand même depuis le début de l’année que j’ai pas touché à ma console, alors je suis un peu rouillée. Mais ça va, là ça revient tout doucement. »

Elle avait raison, j'aurais certainement trépigné d'impatience en l'attendant, je me serais énervée bêtement et j'aurais certainement fait mille pas avant d'engueuler les transports en commun d'être lents. J'avais hoché la tête pour la liberté, quand t'étais habitué à marcher et qu'on t'apprenait à voler, cela changeait tellement de choses. Vraiment...

« On va voir ça, mademoiselle la crack. »

J'avais empoigné le joystick et le bout de mes griffes était sur les boutons de la machine. Nous commençâmes et... j'étais pas habituée du tout à jouer avec ce système, j'étais habituée aux manettes, et encore, avec ma petite sœur qui me collait énormément, je ne pouvais pas jouer à des jeux violents. J'étais compréhensive qu'une enfant ne devait pas voir ça, donc je jouais pas autant que je le voudrais.

Je me lâchai et ma première victoire se finit avec moi qui gagnai à vingt-cinq/trente pourcents de points de vie. Je ricanai légèrement en penchant la tête pour la regarder, elle avait gonflé les joues.

« Bah alors ? T'étais pas censée être une crack ? »

Nouveau Kombat, c'était parti pour gagner. Je martelai, connaissant tout de même quelques combos de mes personnages, je n'étais pas celle qui appuyait aléatoirement et priais pour réussir, mais là, elle avait repris du poil de la bête car elle était à soixante pourcents de point de vie que les miens...

« J'ai perdu ?! »

Avais-je crié, ça s'était passé vite. Comment elle avait fait pour me mettre une telle raclée ?! Elle avait triché, c'était pas possible... Et elle osait me reprendre de haut, je serrai les poings griffus en la regardant avec les dents serrées.

« De faux espoirs ?! J'avais fait exprès, tu m'as fait pitié à perdre. Tu vas voir le prochain match. »

Je remis une pièce pour une nouvelle partie et cette fois-ci, avec l'énervement je me débrouillais bien mais... elle gagna encore, deux fois de plus à la suite. À vingt et trente pourcents de points de vie.

"Faites ce que je dis, pas ce que je fais"

Dans ces moments-là, ça me représentait. La première à lancer des piques mais celle aussi qui les détruisait si on osait me le faire.

Punaise, je passai mes griffes sur mon visage -sans me griffer- pour respirer lentement et grogner légèrement.

« Changeons de jeu, celui-là est chiant. »

Je quittai les bornes d'arcade avant de regarder les autres avec attention et je grognai juste si elle osait me taquiner, même gentiment. J'étais une mauvaise joueuse, encore pire quand on osait se vanter. Je m'approchai d'une borne plus grande, jouable à deux. C'était un jeu d'aventure à deux où deux petits personnages devaient surmonter des obstacles à deux. Je me mis à droite, mon regard ira se planter dans celui d'Hitomi, la calmant au passage si elle continuait ses taquineries.

« Tu veux cette fois-ci qu'on joue ensemble ou pas ? »

Je plissai le regard, les crocs sorties ; j'avais encore du mal à digérer les défaites. Donc là, j'aurais aimé qu'elle me dît oui -avec un ou sans pique, je pouvais pas l'empêcher- mais pas de vantardise ou me remettre au rang d'inutilité.

Je ne pouvais m’empêcher de rire face à la mine déconfite de May. Cela dit, je n’allais pas non plus la taquiner et la reprendre sans cesse sur la raclée que je venais de lui mettre. Je savais à quel point elle pouvait être une mauvaise perdante, et si le but de cet après-midi était de me détendre et me faire temporairement oublier mes soucis personnels, foutre May en rogne n’allais pas m’y aider. Je l’aimais beaucoup trop pour me la mettre à dos.

Finalement, au bout de plusieurs défaites consécutives, elle pesta contre le jeu qui était soi-disant mauvais et me proposa d’aller en trouver un autre. Elle grommelait tout en déambulant dans les longues allées de la salle, ruminant encore sa défaite cuisante, mais je n’insistai pas dessus. Oui, j’aimais bien la taquiner, mais me vanter après coup, ce n’était pas mon style. Avant l’affrontement, c’était beaucoup plus amusant, car ça provoquait l’adversaire et le poussait à vouloir se donner à fond, ce qui rendait alors le duel encore plus palpitant. Car affronter un adversaire qui ne prenait pas ça au sérieux, c’était quelque chose que je détestais.

May s’arrêta alors devant la borne d’un jeu de coopération. Le but était de collaborer à deux pour franchir un parcours d’obstacle en tout genre. Je la regardai, toujours avec son air renfrogné, et lui répondit, tout sourire.

« Avec grand plaisir, ma chère May. On va montrer à tout le monde qui sont les boss ici. »

Je pris donc place à la gauche de la Harpie, et mit un crédit dans la machine. Le jeu était plutôt amusant et original. Il mélangeait borne de danse et jeu de plateforme. Pour déplacer nos personnages, nous devions donc bouger, ou presque danser, en parfaite synchronisation tout en suivant les instructions à l’écran afin de progresser dans le niveau. De la pure coopération, rien de mieux pour renforcer des liens.

Nous commençâmes donc à jouer, et si au début, tout était relativement simple, les mouvements demandés n’étant pas trop complexes, les choses se gâtèrent rapidement. À chaque obstacle, le nombre de postures et leur complexité augmentaient de concert, accélérant la cadence jusqu’à un rythme endiablé, qu’il m’était de plus en plus difficile à suivre. Si bien qu’au bout d’un moment, dans un instant de maladresse, je perdis l’équilibre et tombait alors à la renverse … sur May.

Tout s’étant passé en une fraction de seconde, je n’avais qu’eut le temps de crier de surprise avant de m’écraser au sol, allongée sur la Harpie et nos visages l’un face à l’autre, séparés de seulement quelques petits centimètres. Ce qui ne manqua pas de me faire rougir instantanément, et cette fois-ci sans aucun moyen de le cacher. Je ne perdis donc pas de temps et aidai May à se relever quand des rires se firent entendre non loin.

Une bande de jeunes. Des petits cons fouteurs de merde, un grand classique. L’un nous pointait du doigt pendant que les autres pouffaient de rire, et je devinai déjà ce qui allait suivre. Il fallait donc je réagisse vite avant que May ne fasse un massacre.

« Hey, le piaf, normalement c’est toi qui couve les œufs, non ? En plus ta copine elle a deux bien gros, tu devrais y faire attention !
- Oh, bravo, tu l’as travaillé combien de temps celle-ci ? Fait attention au surmenage, je crois que t’as de la fumée qui sort des oreilles. » répliquai-je avec un sourire moqueur, mais purement méchant cette fois. Qu’on se moque de mon physique, peu importe. Mais qu’on se moque de celui de May, surtout sachant à quel point cela pouvait être une source de complexes pour elle, hors de question.

Ainsi, avant même de lui laisser le temps de répliquer, j’avançai donc d’un pas rapide et déterminé, le regard haineux, pour le chopper par le col et le soulever du sol de quelques centimètres, amenant son visage juste en face du mien, et plantant mon regard dans le sien.

« Alors maintenant, écoute moi bien. Tu vas t’excuser tout de suite auprès de ma copine, et ensuite tu vas foutre le camp de cette salle. Si je te recroise, je m’assurerait qu’un petit merdeux dans ton genre ne puisse jamais se reproduire. Compris ? »

Cette fois, je n’étais plus la Hitomi souriante, drôle et blagueuse. Non là on s’en était prit à quelqu’un d’autre, une personne qui comptait beaucoup pour moi de surcroît. J’étais la Hitomi qu’il ne fallait pas faire chier. Je lâchai alors le gamin qui tomba lourdement sur son arrière-train, le teint livide. Sans ne s’était-il pas attendu à une telle réaction de ma part. Quel idiot. Je faisais presque trois têtes de plus que lui et mes bras étaient plus gros que ses cuisses, il s’était imaginé quoi ? Je lançai alors un regard tout aussi dur aux autres qui avaient regardé la scène sans réagir.

« Des objections, les morveux ? »

Pour toute réponse, ils aidèrent leur camarade à se relever et détalèrent comme des lapins, la queue entre les jambes. Je me retournai alors vers May, dont je me doutais de l’état. Elle qui détestait qu’on lui adresse des moqueries sur son apparence, j’espérai que ça ne l’avait pas trop affectée.

« Désolée … Sales gosses … Les écoute pas, ce sont juste des abrutis. »

Au passage, j'allais lui montrer que j'étais capable de danser.

Enfin, c'était ce que je croyais.

Le début était léger, j'avais largement le temps de poser mes pattes où il fallait tout en restant concentrée sur l'écran, puis vinrent les notes plus difficiles, les pas plus rapides, je cillai rapidement en essayant de tenir le rythme, je manquais plusieurs fois de tomber mais je me reprenais par moi-même.

Sauf que dans mes calculs pour ne pas paraître plus gauche que ce que j'étais, Hitomi eut un faux mouvement -honnêtement personne aurait pu tenir et non je refusais de voir quelqu'un réussir- et tomba sur moi, je glissai sans résistance en fermant les yeux dans un grognement légèrement bestial, ressortant le côté Harpie. Je rouvris les yeux pour voir Hitomi proche, très proche de mon visage. Je papillonnai légèrement des yeux, je la regardai alors de près, et je me rendais compte que, certes, je ne faisais plus attention à mon apparence, mais je ne regardais pas les autres. Avait-elle toujours eu le regard bleu ainsi ? Et ses cheveux qui tombaient sur mes joues, avaient-ils toujours été ainsi ? Ce visage...

Néanmoins, sans pouvoir parler ou agir, elle me releva, je me secouai. J'avais senti un léger chaud sur mes joues qui disparut instantanément. Bref, nous allions passer à autre chose. Sauf que...

Mes lèvres allaient s'entrouvrir pour dire quelque chose face à cette situation, mais des... petits cons -il n'y avait pas d'autre terme- avaient osé ce que j'interdisais. Mes poings se serrèrent fortement, mes plumes se dressèrent, le regard devint noir, les crocs sorties pour être mises en avant et faire passer un CONCRET message. Ma voix, mélangée à la bête que j'étais, commença alors :

« Ban- »

Hitomi me coupa et s'avança avant moi, je savais bien qu'elle savait que je les tuerais si j'avais agi d'abord. Bien sûr, c'était une expression mais je leur aurais fait une remontrance digne de moi. Et Hitomi le fit à sa manière, je m'approchai lentement mais ils partirent vivement. Je grognai.

« J'écouterai pas des futures racailles. J'ai pas eu le droit aux excuses mais ça va suffire, j'imagine. »

Je soupirai, je regardai mes griffes. Même si je les coupais, ils repousseraient à une vitesse folle -pas une journée non plus hein-. Je m'étais habituée depuis le temps à mon apparence, quand j'étais petite, je pensais que les filles dites normales étaient les bizarres. Mais pas du tout. Tandis que ma mère n'écoutait pas les moqueries, moi je fonçais dans le tas. Deux manières de faire, qui fonctionnaient, mais la mienne était plus brutale.

Je secouai la tête pour me remettre les idées en place.

« Je t'offre à boire, pour te remercier. Même si c'est toi qui es parue la plus gauche en tombant sur moi. Même moi avec mes pattes, je tenais mieux. »

C'était vrai et faux, vrai car j'avais tenu puisque, sans me vanter, j'étais agile -s'orienter dans les airs n'était pas chose aisée-, mais faux car je m'étais reprise BEAUCOUP de fois. Je commandai un cocktail sans alcool dont le liquide final aura une couleur rosâtre, quelle surprise. Quand elle commanda, je payai avant d'aller m'installer sur la table.

« À la défaite de ces petits cons. »

Dis-je en levant mon verre pour trinquer avec elle.

« Une idée du prochain jeu à faire ? Ou autre chose à faire, Hitomi ? »

Lui demandai-je avec un petit sourire.

Bonne nouvelle, May n’avait fait aucune mention de notre petite cascade, mis à part pour me taquiner sur ma maladresse. Et aussi elle semblait n’avoir pas si mal prit les moqueries de ces abrutis de gosses. Enfin, je l’espérai, car la voir contempler ses griffes d’un air sur absent m’avait fait un petit pincement au coeur. Bon sang, qu’est-ce que j’avais horreur de ce genre de personnes ! Bordel, on vivait dans un monde où des gens pouvaient cracher du feu, se transformer en dragon ou encore faire jaillir leurs os de leur corps, alors pourquoi il y en avait toujours pour se moquer de physiques comme celui de May ? Il était pas si atypique que ça, tout de même !

May m’emmena alors au bar pour m’offrir un verre. Bon, évidemment, ce serait sans alcool. Pas que je n’aimais pas ça, à vrai dire j’avais quasiment jamais bu d’alcool. Une lampée de whisky de mon père à l’occasion, mais rien de plus. Non, juste je n’avais pas envie de finir dans un état peu glorieux. J’étais là pour m’amuser, pas me déglinguer la tronche. May commanda donc son cocktail, je fis de même, puis en trinquant à la défaite de ces petits cons, comme l’avait dit May, je la regardai en souriant pour lui répondre.

« Et que dirais-tu d’un karaoké ? Avec nos deux voix de casseroles, on va sans doute leur faire saigner les tympans, mais c’est pas grave. »

Je la regardai en riant, pensant d’avance au concert de fausses notes qui allait avoir lieu si elle acceptait ma proposition. Ça faisait du bien, cette petite après-midi entre filles, à ne penser à rien d’autre qu’à s’amuser. Et ainsi, l’après-midi passa. Karaoké, jeux de tirs, de combat, encore karaoké … Nous avions tout fait, tout testé. Et finalement, l’heure de partir approcha. Je regardai alors May, tout sourire, mais aussi un peu fatiguée de cette folle journée.

« Et beh, je sais pas pour toi, mais moi, j’ai passé un super moment. Maintenant, je t’avoue que je suis curieuse de rencontre ta sœur. »

Et à nouveau, bien que je me doutais que ça allait sans doute l’embêter, je pris May par le bras pour l’emmener à l’arrêt de bus. Par chance, je savais où elle habitait, ce qui me fit réaliser que malgré ça, je n’avais encore jamais été chez elle. Tout juste avais-je rencontré sa mère quelque fois, quand elle l’accompagnait chez moi ou au lycée, par exemple. J’étais donc naturellement toute impatiente de pouvoir enfin voir la famille de May, surtout cette pile électrique dont elle m’avait tant rebattu les oreilles.

« D'où j'ai une voix cassée ?! Tu vas voir ! »

Tout était un défi, et j'avais surtout envie de la contredire comme d'habitude.

Une après-midi remplie. À chanter en se moquant du monde autour, à s'affronter sur d'autres jeux, à tester même des nouveaux jeux récents, à des jeux de dextérité -comme le basket et autre-. Nous avions ri énormément et nous ne pouvons être qu'heureuses de cet endroit. Je souris doucement à la fin de journée, je m'étirai longuement en la regardant.

« Ouais, il est temps de rentrer. Je suis sûre que ma mère a fait à manger pour un régiment. »

Je soupirai et la regardai d'un haussement de sourcil.

« Je ne pense pas que tu sois si pressée. La curiosité est un vilain défaut, après tout. »

Je ricanai un peu en me laissant tirer par le bras. Je la regardai alors.

« Tu es trop tactile. »

Je n'étais pas habituée, ma sœur était collante mais à sa manière. Nous arrivions chez moi sans que je la guidasse. Elle se rappelait ? Eh bien, super.

J'ouvris alors la porte.

« On est là. Hitomi est toujours prévue ? »

« Bien sûr ma puce. »

« HI-TO-MIIII !!! »

Un cri strident -pas criard non plus- nous arriva aux oreilles quand une petite harpie tout en rose fonça pour sauter -littéralement- dans les bras d'Hitomi comme si elle la connaissait depuis des lustres.

« Eh, on agresse pas les invités comme ça. »

« Laisse-la, May. Elle s'amuse. »

Ma mère daigna enfin à se montrer aux côtés de mon père, je grognai légèrement en voyant le spectacle.

« T'as le droit de la repousser. »

« Tu auras ton câlin après May ! »

« … Non merci. »

Mes parents s'approchèrent pour se présenter en tendant leur main. Ma mère, Emilia, et mon père, Kaori. Je roulai des yeux.

« Tu as fait quoi ? »

« Je suis restée typique à notre pays en faisant des ramens en grande quantité, Hitomi a un grand appétit, c'est ça ? »

Je hochai la tête, de souvenir, j'espérais ne pas me tromper. Je me grattai la nuque. Quand Elya s'arrêta -oui son prénom se rapprochait de notre nom de famille sur une lettre, mes parents n'avaient pas cherché bien loin-, elle sauta dans mes bras et nouveau grognement quitta mes lèvres avant de caresser sa tête et la poser mais elle ne perdit pas de temps à aller contre Hitomi.

« Alors comme ça, tu es une amie à ma sœur ? Elle parle pas beaucoup de ses amis ! Mais toi, elle te cite beaucoup ! »

« Faux, je dis juste ce que je fais car maman aime avoir un rapport complet de ce qu'on fait. »

« Ma fille, allons. »

Je roulai des yeux et nous allions dans le salon. Le lieu était assez traditionnel au Japon, des tableaux pittoresques, neutres, avec quelques affaires de collection sans grande valeur sauf sentimentale. Il y avait un canapé d'angle où Elya prit la main d'Hitomi pour l'installer et venir assise sur elle.

« May est gentille avec toi ? Elle dit qu'elle a une petite sœur ? Elle dit pas des méchancetés sur moi ? Car moi je l'adore beaucoup ! »

Je claquai ma paume de "main" contre mon visage.

« Elya. »

HRP :

Petite soeur : www
Maman : www
Papa : www

À peine la porte ouverte que nous étions accueillie par la fameuse Elya. Et en effet, May n’avait pas minimisé la chose, elle était vraiment une pile électrique. D’un certain point de vue, elle me faisait penser à Tara, tout aussi bondissante et pleine de vie. Je ne fus donc que moyennement surpris quand elle sauta dans mes bras, la rattrapant avant qu’elle ne tombe, tandis que les parents de May arrivaient juste derrière la petite. Comme dans mes souvenirs, la mère de May était ravissante. Arborant la même apparence hybride que sa fille, son âge plus mûr lui donnait cependant une allure très élégante, presque hautaine. Et son père, quant à lui, n’était pas en reste. En les voyant, il n’était pas difficile de comprendre comment une aussi belle créature que May avait pu voir le jour.

Et ainsi, suite à cette pensée, je rougis à nouveau. Brièvement certes, mais une nouvelle fois. Bordel, je commençais à comprendre ce qu’avais ressenti Hanami le jour où l’autre beau gosse lui avait envoyé cette fameuse photo. Mais du coup, je faisais tourner cette idée dans ma tête : tout indiquait que May me plaisait. L’ennui, c’est que j’étais loin de savoir si c’était réciproque. Du moins, je n’avais aucune idée de la façon dont elle me voyait, et j’avais trop peur d’un refus pour lui en parler. De toute manière, ce n’était pas le moment de penser à ce genre de chose.

Pendant que j’étais en proie à mes doutes, Elya sauta de mes bras pour aller dans ceux de sa sœur, ce qui ne manqua pas de lui faire lâcher un petit grognement exaspéré, mais pas agressif pour autant. En la voyant caresser la chevelure de la petite oiselle, je ne pouvais m’empêcher de sourire. Voir May aussi douce et attentionnée, même si ce n’était que bref, c’était une chose assez rare et j’étais heureuse d’avoir la chance de pouvoir y assister. Je suivis alors la petite famille dans leur salon, Elya toujours collée à moi, et une fois assises, elle me bombarda de questions. Sur moi, ma relation avec sa sœur, si elle parlait beaucoup d’elle à ses amies, ce genre de chose.

Je riais doucement devant la mine exaspérée de May qui semblait toujours plus mal à l’aise. Je regardai alors la petite et lui répondit avec amusement.

« Ta grande sœur est une de mes meilleures amies, et elle est moi on s’apprécie beaucoup, même si on aime bien se taquiner de temps en temps. Et elle ne m’a pas beaucoup parlé de toi, mais je suis sûre que c’était pour me garder la surprise de te rencontrer par moi-même. Et ça se voit que tu l’aimes beaucoup. Et tu sais quoi ? » Je me penchai alors vers Elya pour lui murmurer dans le creux de l’oreille. « Je crois qu’au fond, elle t’aime tout autant. »

Je relevai alors les yeux vers May en pouffant de rire tandis que la petite Harpie me regardait avec des yeux pleins d’étoiles, comme si je venais de lui annoncer la plus belle nouvelle de sa journée. Mais rapidement, mon rire s’estompa, mon regard se trouvant de nouveau captivé par celui de la Harpie avec qui j’avais passé l’après-midi. Je la regardai alors longuement d’un air absent, me demandant à nouveau si je devais lui parler de ce que je commençais à ressentir envers ou pas … Quand sa mère revint avec des bols de ramens gigantesques, me tirant de mes pensées.

« Oh ! Merci Emilia, ça a l’air délicieux ! En plus ça fait longtemps que je n’avais pas mangé de ramens ! »

Une fois les formules de politesse énoncées, nous nous mîmes donc à table, et je goûtai alors ces fameux ramens. Ils étaient délicieux, et je ne me cachai pas de faire savoir à quel point je me régalai. Je participai alors aux conversations, curieuse d’en apprendre un peu plus sur la famille de May, mais au fond de moi, dans un coin de ma tête, cette image de moi allongée sur elle, nos deux visages l’un face à l’autre séparés de quelques petits centimètres ne cessait de me revenir à l’esprit. Je jetai donc des coups d’oeils furtifs à la Harpie, cherchant un moyen de pouvoir lui en parler seule à seule.

Sans grande surprise, Hitomi appréciait s'occuper de ma petite sœur, et c'était la pire réponse possible pour se coltiner ma sœur sans répit. Et gagné, elle la collait. Et... Hitomi lui avait dit quoi ? Elya me regardait bêtement avec des étoiles dans les yeux.

« Je ne sais pas ce qu'elle t'a dit mais si ça me concerne, n'y crois pas trop. »

Je roulai des yeux avant de regarder Hitomi, encore une fois avec ce regard perdu mais pour une fois... je me perdis aussi, le regard légèrement plissé pour mieux regarder ce regard, elle m'avait hypnotisée ou... ?

« À table ! »

L'interlocution de ma mère nous fit sortir de nos rêveries, je fis signe à ma sœur d'y aller vite. Elle le fit, non sans tirer Hitomi à table pour s'installer à côté d'elle, j'allais de l'autre côté d'Hitomi. Ma mère servit tout le monde avant de s'incliner.

« Itadakimasu. »

Nous répondîmes en choeur la même chose -à voir si Hitomi avait suivi ce mouvement-. Nous mangions avec les baguettes quand ma mère osa :

« J'ai des photos de May quand ell- »

J'avalai vivement ce que j'avais en bouche en posant mes baguettes pour la regarder avec les sourcils froncés, lui coupant la parole :

« Non maman, j't'en supplie, ne sois pas le cliché de la maman comme ça. »

« Ta mère veut juste montrer que tu n'es pas aussi dure que maintenant. »

« … Je vous hais tous les deux. »

« J'ai vu les photos ! May était toute mignonne ! »

« N'en rajoute pas une couche, toi. »

Je frottai l'arête de mon nez avec mes griffes en grognant d'exaspération avant de continuer à manger.

Le reste du repas continuait sur cette atmosphère légère, douce, avec des anecdotes bien sûr plus bêtes et innocentes les unes comme les autres. Mes premières blessures, mon premier vol raté où je m'étais faite mal aux ailes et j'avais pleuré, quand je m'étais cassée mes premières griffes en voulant griffer une pierre, et d'autres choses gênantes que je n'avais pas envie de dire mais que mes parents bravassent sans s'en vouloir. Je grognai en reculant un peu mon bol de ramens.

« Fini, on peut aller dans ma chambre. »

« Je peux venir ?! »

« … Elya je... Hitomi choisit, comme ça on dira pas que je ne veux pas. »

Elya ne perdit pas de temps pour se tourner vers Hitomi, Elya n'avait mangé que les deux tiers de son bol mais c'était largement suffisamment. Ma mère était trop gourmande naturellement.

Ma mère allait effectivement dire que je devrais laisser ma soeur nous accompagner car ça faisait du bien d'avoir de la visite, surtout de MA part. Et elle avait ce petit truc maternel, ce petit instinct qui lui disait de laisser sa fille seule avec son amie pour une raison obscure, qu'elle-même ne savait pas.

Néanmoins, le choix était pour Hitomi ; dans les deux cas, personne ne sera déçue. Hormis Elya qui allait tirer légèrement la tête mais elle oubliera vite. Je sentis mon coeur avoir des battements plus rapides que la normale, je mis une main griffue sur ma poitrine avant de secouer la tête et reprendre mes esprits sans réellement comprendre.

Le repas se passa dans une ambiance des plus chaleureuses. Je prononçai en choeur avec les autres la formule de politesse avant de manger. Un silence s’était installé depuis peu quand la mère de May prit la parole avant d’être rapidement coupée par sa fille aînée. Elle voulait me montrer des photos de May petite. Non pas que j’aimais l’idée, mais sur le moment, je me doutais que la principale intéressée n’en avait guère envie. Et puis, en général, c’est pas aux gendres qu’on montre ce genre de choses ? Cette pensée me fit rougir brusquement. Pas encore, merde !

Néanmoins, la réaction très défensive de May n’empêcha pas ses parents de continuer à me livrer quelques anecdotes sur l’enfance de May. Je trouvai tout cela diablement amusant et attendrissant. Je découvrai une autre facette de May que je n’avais jamais entrevue jusque là. Les description que m’en faisaient ses parents me rappelaient beaucoup la petite Elya que j’avais à côté de moi, et cette pensée me fit sourire. Au final, pour tout ce que May pouvait dire sur sa petite sœur, elles se ressemblaient énormément.

Le repas fini, May et moi poussions nos bols respectifs quasiment en même temps, et cette dernière me proposa alors de la suivre dans sa chambre. Simplement à l’évocation de cette proposition, des tas d’images me vinrent en tête, mais surtout, j’allais avoir l’occasion de lui parler en face à face. Cependant, la petite Elya réclama rapidement de se joindre à nous. Non pas que je n’appréciais pas sa compagnie, mais dans l’immédiat, je devais vider mon sac et mettre de l’ordre dans mes idées. Et pour ça, j’avais besoin d’être en tête à tête avec la Harpie.

« Si ça t’embête pas, on passera un peu de temps toutes les deux plus tard. Là, il faut que je parle de trucs embêtant par rapport à l’école avec May, et ça risque plus de t’ennuyer qu’autre chose. Mais promis, je viendrai te voir plus souvent, enfin si May et tes parents sont d’accord, bien sûr ! »

Et bim ! Superbe couverture, Hitomi, bien joué. Je frottai alors la tête de la petite Elya, qui faisait la moue, puis je pris la suite de May pour l’accompagner dans sa chambre. Mon coeur commençait à battre de plus en plus fort, et j’appréhendais de plus en plus le moment où j’allais devoir lui déballer tout ce que j’avais sur ce dernier. Et si ce n’était pas réciproque ? Et si je brisais notre amitié suite à ces révélations ? Tant pis, je devais prendre le risque, je ne pouvais pas garder ça pour moi plus longtemps.