La guerre avait été déclarée, les premiers coups retentissent. L’air est lourd et la poussière dégringolant les murs laisse une odeur terne que l’étudiante assimile aux doux retentissements des combats. Hanabi déploie ses ailes, sa peau se pigmente de rouge et s’orne d’écailles, la faisant frissonner au changement soudain d’apparence. Cornes, crocs et griffes se mettent à pousser tandis que son visage reste caché derrière un faux crâne de dragon d’où ses orbes bleutés se laissent entrevoir. Elle est aux premières loges, cœur battant, adrénaline affluant dans le sang de la vengeresse dont le seul désir est de se rendre utile à ce groupe qu’elle défend. Elle jubile, impatiente, un sourire aux dents pointues au-dessus d’un kimono revisité. Agitant ses doigts gracieusement et à l’affut du mouvement, le moindre son a son importance, la moindre brise venant caresser sa peau. Elle n’est pas seule et cela leur donne l’avantage. Deux adorateurs de l’air sans compter leurs affinités personnelles ajoutées à celle de leurs alters.

Le temps est propice à leur règne, mais il ne faut jamais sous-estimer la vermine. Les revendications sont pourtant simples et louables : l’égalité pour l’utilisation des alters. Civils ou héros, la seule différence n’est pas dans la capacité d’usage, mais dans une moralité qui n’est pourtant pas infaillible. Aucun humain ne peut se prétendre incorruptible. Concentrée sur les évènements, elle ne doit pas se soucier de ce qui se passe à l’intérieur de la bâtisse. Sa seule préoccupation restera ces parasites qui voudront s’immiscer jusque derrière les portes colossales que la dragonne et son acolyte protègent. Un rôle primordial. Elle doit y faire honneur et la pression qui pèse la rend d’autant plus avide de gravir les échelons. Une confiance en elle qui peut se voir retirée à tout moment selon ses performances. Ne pas décevoir… cette perspective seule devrait la mettre en colère pour se dire sans maître, mais il y a bel et bien une hiérarchie à respecter. Ça ne fait rien, au fond, elle est satisfaite et se sait capable de tout affronter pour son idéal. Pour que justice soit faite réellement.

La dragonne coince sa lèvre entre ses dents, inspirant profondément en échauffant ses muscles. Sa queue s’agite, virevoltant derrière elle à la façon d’un chat, nerveux et pourtant les battements réguliers de l’appendice témoignent de son assurance et son envie de jouer. La partie ne faisait que commencer.

Les cris, les vibrations des murs, du sol qui tremblait sous leurs coups, ça ne l’enchantait pas. C’était malheureusement le prix à payer pour une liberté totale et la dragonne avertissait généralement qu’il ne valait mieux pas attaquer. Le choix de ceux qui gisaient dorénavant à leurs pieds avait été le leur. Mourir pour une cause, ça avait quelque chose de poétique à ses yeux, mais le faire sans comprendre celle qui était opposée et s’y jeter corps et âme au lieu d’éviter le conflit, s’en était une autre. Hanabi condamnait la stupidité de certains, sans pouvoir réellement juger cette motivation pour avoir la même bien qu’elle ne serve pas le même camp. C’était du gâchis. Voilà tout.

Un coup d’œil en biais lui permit d’appréhender les mots de son partenaire de crime et un nouveau sourire se forma sur sa mine contrariée par les tueries inutiles. « Je me suis mise sur mon trente-et-un rien que pour ça ~ » blague à part puisque sa tenue, bien qu’élégante n’avait rien d’une robe de soirée. Keita fume cigarette sur cigarette, mais ce n’est pas ce qui la préoccupe le plus. Se coordonner, c’était dans leurs cordes et elle y avait déjà pensé. Leurs entraînements n’avaient pas été vains après tout, même s’ils relevaient plus de l’apprentissage à communiquer leurs intentions à l’autre sans avoir à forcément le dire de vive voix, cela leur avait au moins permis de s’assurer être assez compatibles pour ne pas se gêner aujourd’hui. « Je te fais confiance ~ et d’ailleurs, c’est Red. Red dragon, c’est bateau, mais ça me correspond. Quant à toi, mon lapin je me vois mal t’appeler Ugly, je devrais t’appeler kami ? » l’heure n’était vraisemblablement pas aux plaisanteries, mais le besoin d’en découdre et la tension palpable rendait l’étudiante rebelle plus que bavarde. Cela ne la déconcentra pas de son objectif premier, à savoir empêcher quiconque n’étant pas de leurs rangs d’entrer. « Kami-sama ? ~ » dit-elle d’une voix mielleuse tout en s’approchant d’un pas léger vers un homme qu’elle avait repoussé deux fois déjà de ses battements d’ailes et de quelques coups de queue. « Dégages ou tu finis en brochette » le ton avait radicalement changé, ne s’adressant pas à un allié, encore bien moins à son partenaire, la froideur d’Hana s’accompagnait d’un regard meurtrier dirigé droit sur l’ennemi. Sans attendre son reste, l’individu prend ses jambes à son cou, réunissant ses forces pour trébucher lamentablement en lui tournant le dos jusqu’à enfin parvenir à ne plus être dans leur champ de vision. Le nombre de cadavres commençait à être gênant devant leur porte et de ce fait dissuadait assez bien les nouveaux arrivants pour l’instant.

Un simple haussement d’épaules répond à son partenaire. Hanabi n’est pas là pour tuer et faire la différence entre les téméraires étudiants qui n’ont pas forcément le tempérament pour devenir vilains ou héros et ceux qui en seront vraiment était bien trop délicat. Keita, lui préférait s’assurer que ça ne se produise pas, leur couper l’envie en mettant fin à leurs jours. C’était une façon de faire qu’elle désapprouvait, mais elle n’allait pas s’y opposer. Elle s’était engagée dans une lutte sans merci contre l’injustice et s’était préparée à être confrontée aux différents points de vue dans cette alliance. Certains ne valent pas mieux que les vilains, d’autres ont une subtilité qui lui échappe peut-être. Quoi qu’il en soit, tergiverser sur leur différence c’était remettre en cause ce pour quoi elle était là et ça n’était pas l’objectif.

Le jeu ne faisait que commencer, même si le groupe qui avait fait son entrée lui faisait fortement penser à un groupe de motard plus que de camionneurs, elle ne dit rien, les laissant approcher avant de jouer de ses atouts. Ailes, queue à pointes et sa force étaient suffisant pour se défendre. Elle était déjà dans le feu de l’action quand elle se permit un regard vers son acolyte qui en faisait de même. Une course, dit-il ? « J’en pense que je vais gagner ~ » fut sa seule façon de le narguer, n’arrêtant son massacre qu’une fois la voix d’un homme en particulier parvenue à son ouïe. Elle se stoppe, observe les hommes encore en vie ramper vers celui qui semblait être le chef et qui n’était décidément pas un joyeux luron comme sa belle brochette d’incapables. Elle lève un coin de sa lèvre, l’observe et se redresse en inspirant profondément. Il était d’un tout autre niveau et son alter était impressionnant certes. Elle voudrait bien l’analyser, pour ses études, mais ce serait trahir son identité de civil. Elle ne le provoquerait pas, mettant toutes les chances de leurs côtés bien qu’elle avait furieusement envie d’en découdre et d’y aller franco. Hanabi n’était pas folle. La distance était une sécurité, sauf si ses billes étaient propulsées, mais… elle jeta un œil à Ugly god en commençant à battre des ailes. Il n’eut pas besoin de plus. Lui aussi avait dû remarquer l’œil fermé de leur adversaire. Très bien.

Le vent se met à souffler, les voilà tous deux en train de former un épais nuage de poussière mélangé à quelques débris, de verre essentiellement, de tissu pouvant les masquer. Ça ne servait pas uniquement comme couverture. Le nuage était assez dense pour que la poussière lui soit envoyée dessus. Une idée pour améliorer son costume : fermer le haut pour que rien ne puisse s’infiltrer. Keita soulève la dragonne pour lui éviter de faire plus d’air et munis tous deux de cailloux, ils sèment pour ne pas indiquer leurs positions. Ni une, ni deux, Hanabi donne le signal et se jette sur son adversaire, griffes et pointes de sa queue en avant. Il allait regretter de se la jouer autant celui-là.

Jouer n’était dorénavant plus permis, l’entrée du super avait remotivé les troupes pourtant à terre et mis un point d’honneur à soigner son entrée et ses manœuvres. Les deux vengeurs avaient bien remarqué qu’il était différent et plus encore qu’ils pourraient avoir l’avantage en l’aveuglant. Il était dangereux et devait être éliminé pour ne pas que d’autres recrues viennent à tomber de la même façon que leur acolyte. Si elle ne le connaissait que très peu, c’était contrariant malgré tout. C’était ça : la guerre et elle s’y était engagée malgré tout. Il ne devait pas y avoir plus de perte de leur côté de la porte. Ce fut donc leur plan et tout se passa bien dans la mise en œuvre de ce dernier dans la mesure où l’homme n’avait vraisemblablement pas bougé. C’était mauvais signe.

Le temps semble ralentir à mesure qu’elle comprend. Cet œil avait beau être un handicap, il n’aurait pas survécu si longtemps en étant vénéré s’il n’était pas capable de combattre sans l’usage de sa vision. La faux de son partenaire se retrouve à terre et le temps reprend son cours tandis qu’elle se fait frapper de plein fouet par le corps inanimé d’un ennemi. Il n’a fallu qu’une fraction de seconde pour tenter d’échapper à la suite s’envolant pour éviter de se prendre les billes qu’il lui envoyait. Elle est touchée malgré tout, effleurée par la chose et sa mâchoire se crispe en dévoilant malgré elle des crocs acérés. Il était bien plus costaud qu’ils ne l’imaginaient et pour récupérer la faux qui par définition était un outil que l’homme pouvait retourner contre eux… ça promettait d’être difficile. En somme, ils ne devaient pas tenir la distance, ni la réduire trop. Ce champ magnétique autour de l’homme avait provoqué l’électricité statique de ses cheveux dans sa capuche, les filaments roses peu visibles lui mettaient la puce à l’oreille et ça n’engageait rien de bon. Il leur fallait un nouveau plan et très vite…