Quel temps de merde…Cette pensée me traînait tellement dans la tête que j’avais fini par le dire à voix haute. Il me fallait chercher la motivation d’aller m’acheter à boire. Oui, encore une bouteille, comme celle vide qui trônait au centre de ma table, au milieu des restes de pizza, des antidouleurs et des débris de verre.
Elle me regardait dans mon logis miteux, affalé torse nu sur mon canapé, livide et enserré par des bandages mal serrés qui laissaient deviner la balafre qu’un connard m’avait faite ce matin. Oh, rien de très original d’ailleurs. J’étais rentré par la porte de devant, à la différence près qu’ils m’avaient vu arriver je-ne-sais-comment, et qu’un des leurs m’attendait avec un surin avant même que le masque ne se manifeste.
Puis quelques heures à ignorer cette balafre, à gambader pour finir le contrat, jusqu’à en vomir mes tripes et à manquer de peu le coma, et je me retrouvais à siffler le fond d’un alcool bon marché en m’agrafant le ventre.
Toutefois, malgré toutes ces pensées, je me trouvais toujours sur mon divan. Non sans peine, je réussis à m’en extraire puis boita jusqu’à l’armoire qui me servait de penderie. A peine m’étais-je saisi de la poignée qu’elle me resta dans les mains. S’ensuivirent un long soupir puis un coup de pied qui eut raison du pan de bois.
Au travers du trou, je me saisis d’une chemise et d’un veston en cuir. Par mégarde, je le salis de ma main couverte d’hémoglobine séchée, mais je choisis tout de même de m’habiller comme tel. Après tout, je n’aurai qu’à dire que j’ai saigné du nez.
Une fois de retour dans le bazar qui me servait de salon, je pris quelques milliers de yens en poche et le chemin de ma superette habituelle. A cette heure, son gérant serait déjà probablement ivre, et il ne poserait pour sûr aucune question dérangeante sur mon état actuel.
Une fois arrivé au coin de rue faisant face à l’épicerie, la devanture éteinte et l’écriteau sur la porte me firent subtilement comprendre qu’il me faudrait trouver un autre endroit pour trouver de quoi me détruire ce soir.
Je pris donc aléatoirement une direction dans l’espoir de trouver quelquechose d’ouvert. J’étais déjà trempé et la température ambiante n’améliorait en rien mon état. Ce froid avait d’ailleurs pour effet pervers de me donner encore plus envie de me réchauffer en buvant. Quelques centaines de pas plus tard, mes yeux devinèrent un panneau indiquant la zone commerciale. Pour sûr, cela serait un lieu dans lequel je pourrais trouver ce que je recherche, c’est pourquoi je me mis en route.
***
D’interminables minutes à se retenir de grelotter plus tard, j’arrivais enfin aux abords de la zone d’activités, et tel un phare au milieu de l’océan, j’aperçus au bout du parking que poignée de lettre écarlates : El Diablo.
Pour la première fois de la journée, un petit sourire discret se dessina au coin de mes lèvres. Pour sûr j’aurais préféré un endroit moins bruyant qu’un bar, mais basiquement, après quelques verres, je ne porterai plus vraiment attention à la cacophonie ambiante.
Sur ces pensées, j’avais accéléré mon pas toujours un peu titubant entre les voitures garées pour enfin arriver dans la queue au bout de laquelle se trouvait un videur.
A la vue des jeunes présents dans la queue, ce n’était pas vraiment le type de bar qui accepterait un vieux comme moi, surtout avec ma mine et mon taux d’alcoolémie actuel.
Je fis alors s’activer mes quelques neurones encore en fonctionnement et vis juste devant moi un groupe de jeunes passer sans soucis devant l’homme de presque deux mètres. Fouillant dans mes poches, je pris la moitié de mes yens et tapota l’épaule d’un jeune devant moi, appartenant visiblement au large groupe en train de rentrer.
Y’a quoi clochard ? s’écria le jeune, tout aussi lucide que moi visiblement. Sur ces mots, ma mâchoire se crispa légèrement. En temps normal, je lui aurait probablement fait manger mon poing, mais au diable ma fierté, j’avais soif.
Je te file 10 000 yens si tu lui dit que tu me connais.Sur ces quelques mots, tout autant son ton que son expression faciale changèrent. Il avait surement vu en ces quelques billets une occasion de frimer face à ses amis, et acquiesça.
Merci mon pote !Pour sûr, les billets eurent du mal à quitter ma paume, mais une fois le videur passé, je n’eu plus aucun regret. Après avoir ainsi quitté la tempête, je fis quelques pas dans un endroit bien plus chaleureux que mon appartement.
A plusieurs tablées se trouvaient de grands groupes d’amis, encore un peu plus loin, quelques billards. Le personnel était accoutré de cornes et la lumière ambiante à forte dominance de rouge sciait parfaitement à cacher l’hémoglobine sur mes vêtements.
Ce rouge d’ailleurs allait de paire avec la chevelure de la barmaid à quelques dizaines de mètres devant moi, située juste devant une étagère plus que garnie de spiritueux en tout genre. J’en pris donc la direction, sortant déjà de ma poche de quoi payer mes premiers verres… voire ma première bouteille.
Me hissant sur un tabouret, je pris place en apposant mes coudes sur le comptoir. Je n’étais visiblement pas le premier à attendre pour une consommation, et je pris mon mal en patience à observer les gens autour de moi.
Comme deviné plus tôt, nombre de ceux qui m’entouraient avaient la moitié de mon âge et le double de mon taux d’alcoolémie que ma marche nocturne avait malencontreusement fait redescendre. L’ambiance était pour sûr joviale, et je fis s’échapper un léger sourire de mes lèvres à les voir s’amuser, avant que je me fasse presque surprendre par la voix, me demandant ce que j’allais prendre.
Un bourbon je vous prie mademoiselle.Telle serait la première sentence que j’aillais me faire subir ce soir.