Aujourd'hui, je fais quelque chose d'un peu différent, je vais à la bibliothèque en ville. Non pas pour mes devoirs ou un quelconque projet scolaire, mais pour raisons personnelles... Améliorer mon niveau en japonais.
Cela fait plus d'un an que je suis arrivé dans ce pays, certes maintenant je parle et comprends le japonais très bien, malheureusement, « très bien » ce n'est pas ce qu'on attend d'un héros. Je me rends bien compte que je croche encore sur certains mots, expressions ou autre et ça, quand notre métier est de sauver des vies, on ne peut pas se le permettre !
Voilà pourquoi de temps en temps, quand mon planning me le permet, je pars pour la bibliothèque en ville avec un peu de matériel de travail.

Cette fois ne déroge pas à la règle, dans un sac à dos, j'embarque l'un des gros cahiers que je consacre à mon apprentissage de la langue nipponne, de quoi écrire et un dictionnaire anglais/japonais. J'emporte aussi un thermos de thé Earl Grey afin de garder mon cerveau dans des conditions optimales.
En ce qui concerne mes vêtements, je reste dans la simplicité, une chemise blanche, un jeans bleu nuit et une veste dans la même couleur.
Lorsque je regarde par la fenêtre, je peux voir un ciel relativement chargé. Non pas menaçant d'un quelconque orage, juste très gris... Ce qui me conforte un peu plus dans mon idée d'aller m'enfermer dans une bibliothèque.
Évidemment, je prends mon casque portatif de héros et cette fois, je pense à embarquer une petite pochette de projectiles divers afin de ne pas revivre la situation des halls marchands.

Sur place, je m'en vais chercher un livre que j'ai étudié en Angleterre, mais cette fois dans sa version traduite en japonais. Je tombe assez vite sur un classique de la littérature, Macbeth
de William Shakespeare... Connaissant la complexité de certaines des tournures de phrases dans le texte original, je me demande comment cela a pu être retranscrit en japonais. À coup sûr, ça va m'en apprendre beaucoup sur le fonctionnement de cette langue. Je me saisis donc du livre et m'installe à une table où je pose mon dictionnaire et mon gros carnet d'étude.
Même si les bibliothèques sont des lieux dédiés au silence, je mets mes deux écouteurs dans les oreilles et lance une playlist de musiques douces, aidant la concentration.
Je me plonge dans ma lecture, crayon à la main pour noter dans mon cahier toutes les petites nuances linguistiques que l’exercice pourrait m'apprendre.
Malheureusement, ma concentration va vite être mise à rude épreuve...

Cela fait maintenant quelques minutes que je suis plongé dans mon livre, les prises de notes noircissant doucement mais sûrement une page de mon cahier. Régulièrement, je dois me plonger dans mon dictionnaire à cause de la complexité du texte, mais au moins, ça me permet de progresser.
La musique dans mes oreilles, bien que pas très forte arrive à me couper du monde pour mon plus grand bonheur. Il faut dire que mon niveau de concentration sur la pièce de théâtre aide passablement à cela.

Soudainement, je sens qu'on me tire la manche. D'un rapide geste de l'indexe gauche, je retire l'un de mes écouteurs et le laisse se balancer à la manière d'un pendule. Dans le même mouvement, je tourne la tête pour réaliser que c'est une petite fille qui vient me solliciter. Avant même que je n'aie le temps d'ouvrir la bouche, la gamine pose lourdement un immense pavé par-dessus mon livre, m’écrasant presque les doigts de la main droite. Elle « m'explique » alors qu'elle n'a pas compris l'un des mots sur la couverture... Sous cette situation des plus surprenantes, je hausse un sourcille d'étonnement. Ce qui est déjà beaucoup quand on connaît mon stoïcisme britannique.

Je lui fais un petit sourire amical avant de me pencher sur le livre. Il me faut une bonne seconde pour réussir à décrypter les idéogrammes problématiques... Sei... Seishin... Bunseki.
Je me tourne à nouveau vers elle et lui répond à voix basse (bibliothèque oblige) :

Si je ne me trompe pas, c'est le mot psychanalyse... C'est l'étude de la façon de penser des gens en gros... Sans vouloir te vexer, c'est peut-être un livre un peu trop avancé pour toi... Même pour moi d'ailleurs. Je saisis le livre pour regarder la quatrième de couverture. C'est un livre de niveau universitaire qui donne des exemples de troubles psychiatriques en se basant sur l’étude des personnages de contes. Je ne suis vraiment pas sûr que ce soit pour ton âge...

Je lui tends son livre délicatement avec un sourire amical avant d'ajouter :

Si tu as quand même le courage de lire ce gros livre, je te souhaite sincèrement bonne chance, mais je pense qu'un roman ou un light novel serait plus adapté. Allez, bonne lecture !

Une fois que je suis sûr qu'elle tient bien l'ouvrage je lâche ma prise doucement et commence à me tourner vers mon travail. Cette fois-ci, je ne remets pas mon écouteur dans l'oreille, des fois que la petite décide de revenir, mais j'en doute. Je reprends mon crayon en main et cherche la ligne où ma lecture a été interrompue.

La petite me glisse un timide merci avant de s'éloigner. Je me remets donc au travail après cette petite interruption impromptue. Il ne me faut que quelques courtes minutes pour me remettre dans le bain.
Alors que j'ouvre mon dictionnaire par qu'il y a un mot que je ne comprends pas, j'entends une toute petite voix... Celle de la petite fille de tout à l'heure. Par réflexe, je lève légèrement les yeux au ciel avant de me tourner vers elle avec un sourire amical. La gamine me demande si je peux l'aider à ranger son livre parce qu'elle ne sait plus où elle l'a trouvé. Je retiens un soupir avant d'accepter :

Oui bien sûr.

Je me lève et l’accompagne après avoir fermé mon livre dans mon cahier afin qu'ils se servent de maque page réciproquement. Je tends la main en demandant :

Je peux revoir le livre s'il te plaît ?
Une fois que je l'ai en main, je regarde la tranche à la recherche de la petite étiquette de classement. Je tapote doucement le petit rectangle pour attirer l'attention de l'enfant dessus, quand elle regarde bien, je lui explique. Tu vois, ça c'est l'étiquette de classement, il y a trois informations dessus. La couleur qui indique dans quelle partie de la bibliothèque il faut le ranger. Un kanji qui fait partie du titre et un numéro pour savoir c'est le combientième livre de la section.
Là l'étiquette est jaune pâle, ça veut dire qu'il va dans la section science sociale, le kanji est celui du mot conte et c'est le numéro 172. Je lui tends le livre alors qu'on se dirige vers la section concernée, sur place, je lui montre le côté du rayonnage.
Regarde, sur le côté de chaque étagère, il y a le nom de la section avec un rectangle de la couleur correspondante. Et là, il y a une indication des numéros qu'on trouve à chaque étage... Tu n'as plus qu'à le ranger en suivant l'ordre des numéros.

J'ai un sourire doux pendant toute l'explication, même si elle m'a stoppée dans mon exercice, je ne vais pas m'énerver pour si peu. De plus, c'est mon devoir d'aider les gens !
J'avoue cependant être surpris que personne ne lui ait jamais appris, même approximativement, le fonctionnement de rangement d'une bibliothèque, de même que je suis surpris que personne ne l'accompagne... Mais bon, si elle habite dans la rue, cela peut-être compréhensible que ses parents la laissent venir seule ici.
Une fois le livre en place, je lui demande :

Ça va aller pour te trouver de la lecture ou tu veux un coup de main ? Bon, là on est dans la section pour les étudiants, donc je ne pense pas qu'il va y avoir grand chose pour toi, mais on peut aller voir les romans si tu veux.

J'ai un peu honte, mais au fond de moi, j'ai un léger espoir qu'elle me dise que c'est tout bon et qu'elle va se débrouiller, histoire de pouvoir retourner à mon travail... Bien entendu, je ne le montre pas et continue d'afficher un visage amical.

Lors de mon explication, la jeune fille semble m'écouter attentivement... Enfin autant qu'une enfant de son âge puisse le faire. J'ai l'impression qu'elle a un peu de mal avec ce système, mais c'est comme tout, c'est une question d'habitude et si elle vient souvent ici, la demoiselle finira par comprendre les rouages du classement bibliothécaire.

Après ma petite explication, la jeune fille me pose une question à laquelle je ne m'attendais pas vraiment. Elle me demande à quoi ça sert de lire... J'avoue rester bouche bée une fraction de seconde, temps nécessaire pour elle pour ajouter qu'on peut vivre sans.
Elle semble avoir gagnée en assurance, mais semble surtout curieuse. Elle vient s’asseoir à côté de moi alors que je réfléchis.
Je me frotte doucement la nuque, cherchant quoi lui répondre... Je ne veux pas répondre à côté, surtout face à un jeune esprit comme le sien... C'est alors que me vient une idée. Je la regarde amicalement avec un petit sourire et lui dis :

Tu as raison, on peut vivre sans savoir lire... Mais ça veut dire que tu seras toujours un peu dépendante des autres. Si tu ne sais pas lire, comment tu feras pour trouver une rue où tu as rendez-vous ? Comment tu liras la notice des médicaments si tu tombes malade ? Et tu risques de te sentir bête si une fois adulte tu as besoin qu'on te lise le menu au restaurant, non ?
Je marque une petite pause avant d'ajouter. En plus, lire et écrire, c'est très pratique pour communiquer avec les autres... Tu peux envoyer des sms, ou faire passer des petits mots secrets à tes amis... Mais pour ça, il faut savoir lire et écrire.

J'ai essayé d'être le plus concret possible, j'aurai pu me lancer dans un discourt enflammé sur la beauté d'un roman, l'imagerie d'un poème, mais ce n'est clairement pas le genre de choses qu'on veut entendre quand on est enfant. Et moi, tout ce que je veux, c'est l'aider. Sur cette note, je lui demande amusé:

Alors est-ce que je t'ai convaincu de bien apprendre à lire ou pas du tout?