Ils avaient fait aussi vite que possible. Mais il était déjà trop tard.

La vision d'un homme en feu qui ne se consumait pas, absorbé par l'immense silhouette de l'être flottant dont les voiles le dérobait de plus en plus arrêta un instant Bakugou, le temps que son cerveau décode ce qu'il voyait. Les autres, qui le suivaient de près, se retrouvèrent eux aussi devant cette scène.
Yeux écarquillés, conscient que la situation était critique, il cherchait quelle action entreprendre. Que faire face à cette chose qui pouvait disparaître en un instant ? Comment toucher ? D'abord le masque semblait une cible évidente, et alors qu'elle était occupée avec l'homme, peut être y avait-il une chance qu'elle ne puisse se désintégrer... Mais comment frapper avec suffisamment de précision pour ne pas toucher l'otage ?
Vaines pensées car déjà disparaissait victime et mec voilé.

Tout s'était déroulé en quelques secondes et Bakugou regarda retomber le bout de papier sur le sol, le masque sur son visage dissimulant son expression. Il se donna un coup de nerf ; se propulsa encore avec ses explosions pour grimper sur un muret et de là sur un toit, déplaçant sans doute quelques tuiles sous ses bottes. Sans s'en préoccuper, il tourna sur lui-même à la recherche de nouvelles bouffées de fumées, et sans surprise, n'en vit plus aucune.
Il s'assit brusquement au bord de la gouttière. "Merde", souffla-t-il tout bas. Se poussant dans le vide, il se laissa tomber à quatre pattes non loin de ses camarades en amortissant la chute d'une détonation.
Il se redressa, constatant que le duo avait trouvé quelque chose. Secouant la tête pour leur signaler qu'il était bredouille, il se rapprocha d'eux, renfrogné.
Il semblait réticent à parler et attendait que Kirishima et Uraraka prennent les choses en main, ce qui contrastait avec son attitude tout au long de l'incident. Il évitait leur regard, mais peut-être qu'une étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres. Avec lui, on ne savait jamais trop.

Ils étaient arrivés sur les lieux, oui, mais trop tard, la scène était déroutante, une ombre qui avale un civil ou qui que ça puisse être ayant visiblement de l’importance pour être kidnappé. Il déglutit, la sueur à la tempe, Kirishima ne sait que faire et son alter de force n’est certainement pas le plus à même à faire recracher sans dommage la bête qui de toute façon possède une rapidité qui le dépassait. Il était de nouveau face à un échec et avant même de pouvoir bouger, la chose avait disparue sous leurs nez. Il sert les poings, contient au mieux sa rage en serrant les dents, grognant derrière les morceaux métalliques encadrant son visage. Bakugo s’envole pour le repérer à nouveau, un papier vole à leur rencontre et les signes qui sont marqués n’indiquent rien qu’il ne soit en mesure de comprendre. Perplexe, il dévisage la brunette qui propose de remettre l’indice à l’autorité la plus proche faisant acquiescer le roux qui observe son camarade redescendre.

Il comprend sa frustration, il sait qu’être un héros ce n’est pas regarder comme trois chiots l’enlèvement se produire, mais ils avaient misé sur la sécurité de l’otage fusionné à son ravisseur… un plan imparable. « C’était préparé… on a été leurré comme des idiots » la frustration, la colère, mais aussi son cœur qui bat par cette rage de ne pas avoir sauvé quelqu’un. Qu’est-ce qu’il allait devenir ? Il fallait le trouver et vite, très vite. Si eux, graines de héros n’avaient pas pu y faire grand-chose, en plus d’en subir la disgrâce, ils seraient dans l’obligation de faire passer des pro héros derrière eux. Affligeant… déconcertant de subir échec sur échec pour Red Riot, néanmoins, la priorité était à cette victime, ils auraient dû se séparer peut-être ? Les choses ont mal tournées, ce qui est fait est fait et son silence en dit long sur sa culpabilité. Son regard contrarié, ses sourcils froncés, il ne peut diriger sa frustration que sur un Bakugo dans le même état. Sans doute parce qu’il en est plus proche et qu’il le sent lui aussi trépigner, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il n’explose vraiment.

Il n'a pas objecté quand Ochaco est partie devant pour faire rapport au commissariat. Elle va peut-être le descendre au passage, elle n'a sûrement pas apprécié sa gestion de l'incident. Putain, lui même n'a pas apprécié sa gestion de l'incident. Mais il s'en fout. Il préfère ne pas être celui qui va annoncer le fiasco de leur mission. Pas tout de suite, en tout cas. Il n'est pas sûr de pouvoir se contrôler.

Il faudra bien faire rapport aux profs. Il serre les dents. Fait quelques pas. S'arrête. Eijiro le regarde. Il ne faut pas qu'il pète les plombs. Pourtant la pression monte, monte, et s'il était seul, il serait déjà en train de hurler.

Par chance ils sont dans une ruelle déserte. S'il n'y avait pas cette odeur bizarre on croirait que rien ne s'est passé ici. Il n'a pas eu le temps de porter un seul coup. Il y a là un panneau qui invite au calme, apparemment il y a une clinique pas loin ou une merde du genre. Il donne un coup de pied dedans, puis balance ses mains encore toutes suantes : "CHIER ! CHIER ! MERDE !"
Adieu, panneau qui invitait au calme... Il va perdre des points d'évaluation avec ça mais actuellement le cerveau du garçon fulminant n'est pas capable de traiter cette information. Les explosions crépitent encore dans sa main comme il halète, penché en avant, toute cette énergie combative inutile roulant dans sa poitrine.

Alors qu'il essaye en vain de se calmer, la voix de Kirishima résonne derrière lui, essayant peut-être de changer ses pensées de cible en proposant un sujet de réflexion, la réaction curieuse du vilain qui aurait dû, normalement les attaquer. Il hésite à l'approcher, voyant qu'il n'est pas dans son état normal.

Pendant ce temps, c'est à peine si le blond hérissé prête attention à lui.

La colère, ce n'est pas une émotion très saine ni un bon moyen de gérer ses difficultés. La preuve, maintenant il a foiré sa première confrontation de héros ET il a détruit le mobilier urbain. Il se sent un peu plus mal et toujours plus en colère contre lui, en colère d'être en colère. Quand il était jeune la colère lui permettait d'obtenir ce qu'il voulait. Il faisait un caprice, intimidait les autres pour qu'ils fassent ce qu'il voulait. Il se sentait puissant. Mais il a beau examiner la situation, il n'a pas de raison de diriger sa  colère sur autrui. De se soulager de ce qui lui tord les tripes. Le seul qui a fait des erreurs... Le seul qui aurait pu changer quelque chose...

Il n'a jamais demandé leur avis aux autres. Il a agi comme s'il avait le meilleur jugement sans même leur offrir de choix. Il a pris la décision de ne pas aider le fuyard et de se perdre dans les ruelles. Il n'a pas écouté Ochaco et il a poursuivi le vilain sans essayer d'être discret.

Pourtant il savait qu'il avait un alter de téléportation ! Il le voyait ! Comment a-t-il pu être aussi stupide ?

A cause de lui, un vilain s'est échappé. Un civil a été kidnappé. Pourquoi, sur le coup, était il persuadé de bien faire ? Tout ça à cause de sa stupide fierté, il devrait le savoir, à force ! Il devrait le savoir, qu'il fait des erreurs ! Pour qui il se prend à agir comme un leader, si c'est ça le résultat ? Deku aurait priorisé le sauvetage. Ochaco a émis plusieurs objections... S'il n'avait pas été là à chercher la confrontation est ce que la mission n'aurait pas mieux tourné ?

Il revoit le moment où le masque du vilain s'est détourné de lui. Où il a retrouvé sa proie. Et lui a échappé.

"Il voulait le mec... C'était sa cible..."

Sa voix craque et il cache par ses épis un visage tordu de dépit et des yeux trop brillants. Il faut qu'il se défoule, il ne va pas se lamenter, il ne va pas chialer, il s'humilie assez comme ça... Rien sinon la victoire. Rien sinon la première place de la plus digne des façons. Il se l'est juré. Et son rêve, et All Might, ne font que s'éloigner. All Might n'a jamais perdu. All Might n'a jamais échoué à sauver quelqu'un qui était à sa portée.

Quel que soit l'angle, il est un échec.

Il tremble, et renifle, et les larmes coulent silencieusement sur ses joues.

Eijiro est là. Il se hait tellement de lui donner cette image de lui.

Tourne le dos dans l'espoir qu'il ne voit pas, et se met à marcher dans la rue à grandes enjambées pour s'éloigner de lui.

Lui qui, d'ordinaire, analyse bien les situations ne remet pas en perspective, ne voyant que ses erreurs, une route, façon d'agir qui aurait eu un résultat différent. Trop dur avec lui même, il ne se permet aucune faute.

Il continue à marcher, seule l'action peut le distraire occuper son corps, et l'éloigner de tout, il ne compte pas s'arrêter mais son costume est trop voyant pour déambuler dans des rues passantes, il ne veut pas qu'on le regarde, il veut être seul pour vomir l'émotion qui l'étrangle.

Il voit une petite impasse occupée de cageots, de poubelles, de quelques bicyclettes, il y bifurque, espérant se fondre dans l'ombre mais il entend Kirishima qui l'appelle.

Derrière lui, cette voix familière.

Presse les dents, les poings.

Il crie. "JE l'ai pourchassé, JE l'ai alerté, et JE l'ai laissé rattraper l'autre ! C'est moi qui ai choisi, parce que je voulais me battre, parce que je voulais me confronter à un vilain !"

“Mais j’étais d’accord, prend pas le blâme ni pour moi ni pour Ochaco, quoi qu’elle en dise, si elle avait pas voulu t’écouter, elle aurait fait autre chose… pour ça, je sais qu’on a tous les trois la tête dur. Même si tu voulais combattre, on était derrière toi et on avait envie d’aller à la source… plutôt que protéger la victime”

Il ne veut pas l'entendre. Quand la main se referme sur son épaule, il se rend compte qu'il est en train de pleurer et que Eijiro est derrière lui. Il le repousse d'une violente bourrade, montre les dents.

"Dégage ! Je vais bien, fout-moi la paix ! Fout-moi la paix ou je te bute !"
Sa voix devient stridente et la panique fait crépiter ses paumes inondées de sueur.

“Bakugo…”

Kirishima ne s'éloigne pas, l'accule, alors qu'il est à bout, persiste à parler, à tenter de le calmer et prendre une part de la responsabilité. Ses yeux cherchent les fentes qui cillent et s'écartent furieusement, leur ardeur dangereuse, lave prête à l'éruption.

"J’aurais pu rester ou suivre le type, je l’ai pas fait… j’aurais eu tendance à agir comme ça aussi à foncer dans le tas et ça aurait eu le même effet et en vitesse, difficile d’égaler un alter de téléportation, comment tu veux faire ça ?"

Le faux roux est le seul à avoir la vaillance, pour se battre à ses côtés, pour souffrir ses explosions. Il est le seul à persister dans ses colères, ses tempêtes et ses caprices, et naturellement le seul, à le suivre jusqu'ici, à le voir comme cela, tout au bout de la corde... Le seul, assez fou pour le raisonner, ignorer toute la violence, qu'il dirige contre lui et contre eux, assez fou pour insister, jusqu'à ce qu'il le touche, jusqu'à ce qu'il écoute.

"Bute moi si tu veux, je vais pas bouger de là… bro, tu vas pas bien non.”

Il irait bien si cette pauvre tache ne le collait pas pour venir mettre du sel sur ses plaies. La rage, il a l'habitude, ça te défonce l'estomac, ça t'éclate dans les doigts, tu la rugis, la vomit un bon coup, et tu te calmes jusqu'à la prochaine fois. Il s'en veut juste parce qu'il a merdé, parce qu'ils ont perdu, c'était leur première mission de héros et il devait réussir, prouver à tous ceux qui en doutent qu'il a le niveau pro... La déception est un vinaigre dans ses sinus, qui flétrit tout son monde, brouille sa vue de grosses gouttes bouillantes et fait buter la voix rauque sur les insultes qu'elle crache.
Les menaces de mort ne sont pas gratuites tant l'envie de détruire fait vibrer son corps, comme il rejette ce sentiment d'échec, veut défouler cette force qui n'a même pas servi. La méchante bête fixe son attention sur l'inconscient qui agite son chiffon rouge devant lui et répète : "c'est ma faute aussi, ce n'est pas que ta faute".

"T’es pas tout seul à être dans cette merde… je me sens con, mais… j’ai encore plus envie de me battre.”

Il ne l'entend pas. Il l'entend à travers le grondement qui a envahi ses émotions, les fait onduler comme des vagues qui le submergent.

"OK." Une ombre semble passer sur son visage baissé, les bras ballants. "Tu le cherches, hein ?"

Sourire, éclat rouge, il attrape Eijiro par les épaules et lui donne un coup de genoux dans le bide.

Il découvre ses dents quand son ami se plie en deux, pris de court, et lui crache à la gueule :

"Comment t'as laissé ça arriver ! Tu peux pas réfléchir pour une fois ?!"
Il tente de porter des coups, certains avec son alter, d'autres non.

Ses attaques sont gratuites et ses cris vides. Eijiro est offert comme le réceptacle de sa colère. Alors il se bat. Veut lui faire mal. C'est un ennemi qu'il peut abattre, un responsable qu'il peut punir. Tant pis si c'est injuste, si c'est absurde.
C'est de sa faute d'être là et d'être resté.
La chaleur des explosions efface les sillons de ses larmes. Son rictus enragé, voilà ce qui doit s'imprimer sur les rétines de Kirishima, cet idiot trop insistant qu'il pourrait frapper jusqu'à l'épuisement.

Il le suit, plus ou moins silencieux et sent que le calme ne durera pas longtemps. Ça pouvait être effrayant pour n’importe qui d’affronter Bakugo dans ces moments, mais paradoxalement, plus sa fureur était grande et plus Kirishima percevait le besoin sous-jacent d’être soutenu. Il s’arrête à ses remarques, explique son point de vue et Kirishima sursaute ne serait-ce que pour la véracité de ses mots. Oui, il était en partie responsable, mais ce n’était pas le seul et sa tentative de poser sa main sur son épaule s’était soldée par un bref regard en arrière et cette volonté de ne pas le confronter dans cet état. Inspirant profondément, il reste d’abord secoué par ce qui se produisait sous ses yeux : Bakugo était incontrôlable, déchiré oui, parce qu’il se pensait égoïste ? Parce qu’il réalisait que c’était une décision d’équipe qu’il aurait fallu prendre ? Il n’était pas le seul dans ce cas et le faux roux l’exprima clairement.

« Mais j’étais d’accord, prend pas le blame ni pour moi ni pour Ochaco, quoi qu’elle en dise, si elle avait pas voulu t’écouter, elle aurait fait autre chose… pour ça, je sais qu’on a tous les trois la tête dure. Même si tu voulais combattre, on était derrière toi et on avait envie d’aller à la source… plutôt que protéger la victime »

Ce mot, celui-là, c’était… Red Riot serre les poings, ses dents pointues. Il s’en voudra toujours, énième marque indélébile sur sa peau, néanmoins, il n’est pas le seul à subir les échecs et il comprend bien que pour Bakugo c’est une toute autre proportion. Le geste est violent, les paroles, les crépitements dans les mains de l’explosif… comment faire ?

« Bakugo… »

Il ne voulait pas qu’il se torture, qu’il se fasse autant de mal et qu’il pense être en tort quand tous avaient adhéré au plan.

« J’aurais pu rester ou suivre le type, je l’ai pas fait… j’aurais eu tendance à agir comme ça aussi à foncer dans le tas et ça aurait eu le même effet et en vitesse, difficile d’égaler un alter de téléportation, comment tu veux faire ça ? »

Il passe une main contre sa nuque, regarde brièvement de côté puis fixe la silhouette animée de soubresauts.

« Bute-moi si tu veux, je vais pas bouger de là… bro, tu vas pas bien non »

C’était peu dire, c’était délicat. Le cendré était fier, extrêmement et le faux roux se mord la lèvre, mourant d’envie de provoquer une bagarre juste pour qu’il se défoule. Ce n’était pas bien non plus, mais jamais il ne l’avait vu dans cet état.

« T’es pas tout seul à être dans cette merde… je me sens con, mais… j’ai encore plus envie de me battre » On ne peut que progresser après tout à mesure des échecs, non ?

Il ne reposera pas sa main sur son épaule, il ne s’approche plus, maintenant la distance, laissant de l’espace à son ami. Ils étaient en vie, à défaut d’avoir combattu… ils étaient là et ils pourraient avancer ensemble.

Il ne s'y était pas préparé, même s'il l'avait dit, Bakugo avait été rapide et le coup lui avait fait extrêmement mal à lui en couper le souffle avant de se durcir pour éviter au mieux, pour encaisser. Il se redresse, observe, fronce les sourcils, voudrait répliquer, mais il ne le fait pas, en position défensive.

C'était difficile, mais il allait tenir le coup. Le faux roux ne réplique pas et pose un pied en arrière pour de meilleurs appuis, tirant sur ses épaules pour ne pas laisser Bakugo le faire tomber. Le résultat ? Il le réceptionne, tombe ? Presque, mais il l'entraine avec lui, serrant le blond, ses bras immobilisés contre sa peau solidifiée. Il serre les dents.

Les cris, les menaces, les détonations, il n’aurait jamais cru les détester à ce point dans la détresse que tout cela exprimait au détriment d’un Bakugo qui ne cherchait qu’à réprimer toute cette faiblesse, toute sa tristesse. Il n’y avait pas que ça, n’est-ce pas ? Pour prendre autant à cœur les choses, c’est qu’il y mettait tout le sien à bien faire et essuyer du revers de la main ses efforts, c’était comme balayer tout ce que les autres ne voyaient pas.

Il doit gérer entre durcir sa peau par endroit pour ne pas blesser Bakugo, ses propres émotions et les coups violents portés à son dos. Il déglutit, lui aussi très affecté, plus par son ami que par les évènements. Il n'est pas insensible aux cris, au bruit, aux larmes qui ont roulés sur sa peau et à la grimace qu'il sent. Les épaules du blond sont secouées peu à peu au rythme d'une respiration saccadée par les pleurs sourds de son amis, lui serrant le coeur, l'empêchant de prononcer un seul mot, le temps de quelques secondes interminables « J'te laisserai jamais bro... jamais »

Il frappe lui sans réfléchir, se heurtant au roc de toutes ses forces- mais pas de toute la puissance de son alter. Il veut forcer l'autre à reculer au corps à corps ; trois explosions et il se rue sur lui dans un cri, une main en arrière pour se projeter, l'autre à poser à plat sur son épaule pour que la détonation le fasse tomber ou pivoter... Red Riot résiste, prêt cette fois. Et au lieu de frapper, d'esquiver ou de parer, il se contente de tenir, de se dresser comme un mur qui ne cède pas.  
Katsuki, jeté en avant par sa première explosion, s'écrase contre lui, s'érafle contre lui, bascule et sa retraite est coupée par l'étreinte qui l'enferme. Eijiro en effet ne lui laisse pas temps de se dégager, il a replié les bras autour de lui et l'enserre dans sa prise d'ours de roc, incassable. Le blond hurle de rage comme un enfant capricieux, martelle son dos de coups, se roussit les sourcils d'explosions qui font vibrer le jeune homme à la silhouette bestiale. Lui est un animal furieux d'être enfermé, prêt à lacérer la main qui le retient de ses serres et ses crocs.
"Crève ! Crève ! Va crever !"
La voix se tord la haine devient stridente il se débat en vain pris par ces bras fermés qui ne le laissent plus s'échapper et la conscience de perdre- ce combat, ses moyens, son image auprès de quelqu'un qui le respectait- ajoute à son hystérie. Il frappe encore et encore et ses gants tintent contre le roc, il n'entend plus rien- trop d'explosions trop près de ses tympans.
Et ses cris s'étranglent dans ce sifflement des acouphènes quand il s'écroule tout à coup contre lui, masse frémissante, ramassée sur elle même, qui se crispe violemment sur des sanglots étouffés.
Eijiro tient bon, surpris, mais jamais insensible. Sa voix a toute sa loyauté, la détermination de la jeunesse quand il promet, retenant l'enragé pour l'empêcher de se blesser davantage.
"J'te laisserai jamais bro... jamais"

Katsuki ne pleure pas comme une personne normale. C'est un phénomène qui le dépasse et le submerge sans que sa raison n'y trouve la moindre aspérité à laquelle s'accrocher. Une réaction physique du maelstrom à l'intérieur qu'il ne sait pas gérer.
Un typhon, ça ravage tout. Et rien ne peut l'arrêter.
C'est ça, ses émotions. Une masse d'air chaud. Une masse d'air froid. Une dépression. Et la tempête.
Le corps est ballotté. L'esprit déchiqueté. Et tout ce qui se trouve autour, détruit.
Tout ce qui se trouve autour de lui, détruit.

Les mains se crispent, se referment, se replient.
La surcharge le laisse sans mots, sans cris, sans voix.
Il veut buter celui qui le voit. Il veut le blesser jusqu'à ce que cette détresse soit force, jusqu'à ce que son ouragan le détruise : s'il le hait, s'il le rejette, il ne sera pas faible.

Je ne pleure pas. Je n'ai pas mal. Tu as mal. Je vais te faire pleurer. Je vais te montrer de quoi je suis capable !...

Mais Kirishima le retient de toutes ses forces, LUI, l'AUTRE, il le tient, dans ses bras, il ne le frappe pas, il ne réplique pas, il l'endure et cela terrorise Bakugou. La douleur semble gonfler à l'intérieur de lui, les aiguillons de sa rage fondent et le centre s'effondre, toute l'agression qui est sa seule armure se transmute, se liquéfie.
Quand ses forces le quittent, la tristesse sans fond le laisse tremblant, membres débiles, faible, faible à en vomir. Les mots et l'étreinte, pourquoi cela produit-il cet effet ?
Comme si cette fermeté, qui le contient sans le blesser, comme si cela pouvait le protéger, comme si cela pouvait l'abriter. De lui et du monde, de toute la merde qu'il a faite et qu'il va faire. Comme si le rempart de ses bras pouvait enclore le vide. Mettre un terme à l'angoisse.

Pendant quelques instants, suspendu là, avec toute sa vaine puissance et son corps surentrainé, Bakugou s'abandonne et pleure sans pouvoir se retenir. Comme si ce soutien, physique et symbolique, tirait de lui une détresse muette qu'il a si souvent ravalée.
Il ne comprend rien à rien. Pourquoi son monde a cessé de faire sens. Pourquoi tout est si difficile après avoir été évident pendant toute sa vie. Deku est de plus en plus fort. UA est une pente raide, le monde des héros pros est une montagne, et All Might semble inaccessible. Et tous ces gens qui disent qu'il tient plus du vilain que du héros. Ce qu'il était, sa fierté, plus il s'y accroche et plus la distance entre lui et les autres augmente. Il ne comprend rien à rien, personne ne pouvait le toucher, personne ne pouvait le blesser, quand il était au dessus, mais maintenant tout brûle et éclate en aspérités qui sont autant d'émotions sur lesquelles il n'a même pas les mots. Le seul qu'il connaisse, faiblesse, le pousse à surnager, à nier, promener son arrogance, prétendre l'indifférence, contrôler.
Mais quand l'échec le mord une fois de plus et qu'il se réflète dans les yeux rouges qui semblent ressentir sa douleur d'une nouvelle acuité, la prétention s'effondre, pour quelques moments, et ne reste que la chaleur inconnue de ses mots et la force de sa prise. Alors l'amertume suinte de ses yeux à petites gouttes douloureuses et son front s'écorche contre le cou de celui qui ne le lâchera pas... et l'homme qui sera le numéro un n'est plus qu'un gamin perdu meurtri par son égo.

Depuis qu’il connaissait le blondinet, il s’était habitué à recevoir des menaces qui n’avaient pas de sens. Pour un héros, pour toute autre personne qui l’entendait, ces mots étaient dangereux, un exemple à ne pas suivre et une anomalie dans cette branche si prisée où peu réussissait à se faire un nom. Pour Kirishima, c’était autre chose : un moyen de repousser, d’ériger une barrière entre lui et les autres pour se hisser sans encombre au sommet comme il le souhaitait. Mais la pression était plus haute à chaque fois qu’il franchissait une étape. Tous les élèves y passaient, se rendant compte de la différence entre le terrain et le rêve qu’ils s’étaient construit autour de leurs carrières. Alors voir Bakugo changer le rendait extrêmement nerveux. Il s’était isolé, volontairement, mais ne pouvait pas le faire éternellement au risque de se perdre lui-même. Alors, il l’avait pris dans ses bras, il l’avait cherché, avait accepté la douleur pour lui, pour qu’il comprenne que ça ne lui servirait plus désormais d’être seul. C’était différent de sa propre vision du héros, il acceptait sans contrepartie celle de Bakugo à une seule condition : qu’elle lui convienne. Le voir pleurer brisait cette clause.

C’était extrêmement rare que Bakugo accepte le contact. Si le roux ne le forçait pas lui-même et ne posait pas de limites, l’explosif ne l’aurait pas laissé faire. Comme un contrat sous échange de regards. C’était complètement différent de ce à quoi ils étaient habitués et Kirishima serrait le plus fort possible pour que le blond ne puisse pas échapper à cette étreinte forcée. Il avait voulu l’empêcher de se faire mal, de créer plus de problèmes que leur petit groupe de trois n’en avait causés, il voulait lui montrer qu’il n’était pas seul. Il n’avait plus besoin de l’être désormais.

Les cris, les détonations, puis finalement les pleurs et le silence d’un ami dévasté par la peur, par la peine, par des émotions qu’il ne se serait jamais autorisé à montrer, encore bien moins devant témoin. Red Riot le savait, il venait de franchir la limite, de rompre leur accord et le cendré allait lui en vouloir terriblement, mais au fond, au point où il en était, le mal était déjà fait et il considérait que ce n’était pas si mauvais que ça de vouloir préserver un ami des forces qui tentaient de le tirer vers le bas.

« Bro t’as le droit de péter un câble, t’as le droit de pas être bien, ça fait pas de toi quelqu’un de faible que d’accepter ça, ça te rend plus fort » c’était extrêmement délicat d’aborder ce sujet, mais il lui semblait que ce moment était propice à une discussion, là qu’il l’avait contre lui, là qu’il l’enlaçait et que son cœur battait, aussi lourd que celui de l’étudiant contre lui. Il s’attendait à une réaction violente, du moins s’il ne sentait pas à quel point le cendré était mal. Il ne craignait pas son ami, loin de là. Peut-être même qu’il était le seul à accepter qu’il se comporte comme ça ? Il n’en savait rien, il avait juste besoin de lui montrer qu’il était là et qu’il le comprenait. Parce que sous ses airs imbéciles, Kirishima savait que quelque chose se tramait dans l’ombre du piquant. Que derrière le masque noir aux bordures orangées se cachait un étudiant qui n’avait pas l’attention de son héros favori, de son exemple. All Might lui-même lui avait semblé injuste et si pour lui ça n’avait pas d’importance, il avait bien vue des tensions entre Midoriya et Bakugo par ce simple fait. Il savait que ça ne datait pas d’U.A. pour le comportement qui avait été observé de tous avant même que les cours débutent, mais ça ne faisait que creuser davantage un fossé dont personne ne voulait.

« Tu prends beaucoup sur toi hein ? » question rhétorique, ça ne faisait que prouver un peu plus au roux que Bakugo était très fort, mais qu’il pouvait l’être encore plus en n’étant pas pris au dépourvu par cette déferlante de sentiments qu’il semble s’épuiser à combattre. Ses mains ne se desserreront pas tant qu’il ne sera pas certain que l’explosif soit calmé. Le piquant appuie simplement un peu plus sa tête contre celle du blond, « Je suis là bro, je suis avec toi » Il ne le laisserait pas tomber, il ne lui tournerait pas le dos, ainsi l’avait-il promis lorsqu’ils avaient discuté, lorsqu’ils s’étaient confiés, même si ça avait été peu, l’essentiel avait été dit, assimiler était différent, voilà pourquoi Kirishima redoublait d’efforts.

Petit avertissement pour langage homophobique+ la masculinité toxique qui va bien :l

Il semble que Kirishima ne le juge pas, tente de le rassurer. Mais Bakugou n'a jamais compris. Les mecs ne pleurent pas. Les émotions sont une faiblesse. Elles plantent leurs crocs dans l'âme et elles souillent tout ce qu'elles atteignent. La colère et la violence sont des poisons qu'il ne sait comment purger. Soit il détruit les autres soit il se détruit lui. Pourquoi il ne peut pas juste se décharger sur les vilains ? Ah oui, parce qu'il est trop faible pour les toucher ! Et ça le met dans cet état ? Même pas cap d'endurer une petite contrariété ? Ça ne fait pas de sens, que quelqu'un comme Kirishima dise ça. Est-ce qu'il ne l'admire pas parce qu'il est masculin, sûr de lui, en contrôle, tout le contraire de ça ? Si n'importe qui dans la classe savait, si on le voyait, il serait la risée du groupe. Qu'est-ce que tu as Bakugou, tu veux ta maman ? Tu as perdu tes couilles, tu chiales comme une fillette maintenant ?  Tu es une tapette, Bakugou ? Derrière tous ces muscles ces airs de dominant et cette grande gueule qui sait pas la fermer, c'est ça que tu es ? Une tapette ? Il a toujours méprisé les mecs comme Deku, qui pleurait toujours pour un rien. Cette petite tafiole malingre et maladroite. C'est comme si en lui volant ses certitudes le nerd l'avait contaminé. Il refuse cela de toute son âme.
Les autres ne lui pardonneront jamais. Il s'est déjà fait railler pour sa défaite auprès du vilain slime. "Tu avais l'air sur le point de chialer !" "Qu'est-ce que ça fait d'être la victime des vilains une fois par an ?" Et si il voyait un de ses potes comme ça, il lui donnerait une bonne gifle pour qu'il se reprenne. C'est comme ça qu'on s'endurcit, qu'on devient un homme et Kirishima devrait être capable de comprendre ça.
Pourquoi y aurait-il la moindre différence à UA ? C'est l'école de l'élite, et ça, c'est indigne d'un héros.
Les pleurs se tarissent et les râles ralentissent. Les épaules puissantes se soulèvent mais il ne bouge pas encore. Une menace dans le silence qui s'insinue, le bloc raidi de ce corps entravé. Les paroles se sont posées sur lui, et il ne les saisit pas, les laisse emportées par le vent.
Après un moment, sa voix rauque se fait entendre tout contre son ami.
"Lâche-moi, Kirishima."
Le son est bas mais l'ordre ferme. A quelques millimètres, il ne touche plus la peau de son ami. Il est suspendu là, refusant même de respirer, et cela ne peut durer une seconde de plus.
Derrière, les yeux rouges fixent le vide. La distance à l'intérieur se creuse de plus en plus.
Kirishima le fixe et son propre regard flotte dans le flou qui s'étend désormais entre eux. Il essuie son visage brouillé par les larmes, la respiration raccourcie par cet examen qu'il subit. Se voir mis à nu, à vif, par les yeux de cette personne. Il hait cela. Autrefois il aurait blessé celui qui ose lui présenter ce reflet de lui-même pour que la douleur et la faiblesse soient extérieures à lui. Il le rendrait si misérable, de toute sa cruauté, qu'il ne se relèverait pas et que le lien et l'empathie seraient à jamais brisés. C'est pour cela qu'il ne devait pas le voir. Pourquoi il devait respecter ses limites. Voilà ce qui arrive à ceux qui veulent le toucher.
"Ce n'est pas moi." croasse sa voix usée par les cris.
Il braque soudain ses yeux cuivrés droit dans ceux d'Eijiro.
"Je me fous de ce que tu penses. Je ne suis pas comme ça ! Je n'ai pas besoin de toi. Alors tu me touches pas, tu gardes tes distances, ou sinon..."
Va-t-il dire "je te bute ?" Des menaces qui semblent avoir perdu leur sens, mais qui ont pourtant un écho de mauvais augure. Car les blagues et les rires ne font qu'envelopper et rendre acceptable une violence qui n'a jamais cessé d'être. Et le garçon qui se révèle brutalement par une déchirure du voile des apparences est aussi dangereux qu'un animal blessé.
Il déglutit et ravale comme un noeud de regret mais ces paroles et ce moment sont preécrits, inexorables, et il l'a toujours su.
Il n'ajoute rien. Je ne te le pardonnerai jamais, voilà ce que réfracte l'éclat de ses yeux. Métallique comme une lame. Mais l'étoile de l'iris s'étend dans une poussée de désespoir, avec une supplication sous jacente : ne m'accule pas davantage. Ne me fait pas basculer de ce côté là.
Et Eijiro semble comprendre. Il se contente de hocher la tête et de reculer.
“Bro… on rentre ?”
Bakugou tique quand il entend "bro" comme si rien ne s'était passé, et il a envie de le secouer. Pourtant cette soumission apparente de Kirishima le calme un peu, lui qui a la sagesse de ne pas le provoquer. Il ne s'est rien passé, ils garderont ça sous silence et il pourra sceller son secret loin et profond. Implicitement Kirishima accepte ses conditions.
"Pas besoin que tu me le dises, abruti. On se casse. Ça schlingue ici de toute façon."
Se drapant dans son orgueil désobligeant, il prend les devants de son pas martial. Mieux vaut ne pas être sur son passage. Il n'attend pas que Kirishima le suive.
Il sait qu'il est derrière lui.

Etait-ce de la naïveté ou un instinct bien plus aiguisé que l'on pouvait croire de la part de Kirishima ? Red Riot et son tranchant, son franc parlé contrastant avec la douceur dont il était capable, on ne l'imaginait pas avoir une once d'instinct sur le fonctionnement d'autrui et pourtant s'il avait été accepté c'était bel et bien pour cette raison. Pas uniquement son empathie, pas uniquement ses poings, en aucun cas pour ses notes. Non, il avait été choisi pour ce dont il ne soupçonnait pas. Il se savait sociable et accepté facilement aujourd'hui, plus qu'il ne l'avait été par le passé en raison de son tempérament introverti. Aujourd'hui, se mettre en retrait il l'avait exclue de son vocabulaire, jamais plus il ne voulait se sentir figurant de sa propre destinée. Alors, voir Bakugo Katsuki, son ami si dur avec lui-même relâcher toute la frustration d'une façon inattendue pour tous l'avait poussé à bouger de lui-même, à rattraper le blond avant qu'il ne tombe et se détruise. C'était un tort, c'était une faiblesse pour l'explosif. Mais c'était pourtant si naturel qu'il n'avait pas su réagir autrement. Il avait eu besoin d'être soutenu, que ses poings détonnent ou non, Bakugo n'avait d'autres choix que de l'admettre silencieusement. Ce moment sans paroles, les oreilles du roc qui bourdonnent, rien ne le lui enlèverait. Il avait été là et il le sera toujours pour ses amis.

Quand la froideur revient pour grignoter sa peau dure et passer au travers, il ne s'en formalise pas. Kirishima sait pourquoi il est comme ça, il le sent, il ne le poussera pas davantage à se livrer et il n'en demande pas tant. Il souhaite aider à sa manière et pense avoir rempli son rôle, bien que le remerciement derrière soit à coup de menaces. Elles n'ont pas plus d'effet que celles prodiguées tout au long de leur scolarité, parce qu'elles sont creuses, même si la dangerosité de ce qu'elles impliquent à ce moment précis n'est pas à exclure. Red Riot fera avec et choisit de ne pas répliquer, ce serait trop facile. ça ne servirait à rien et par ailleurs, à quoi bon ? Alimenter ne ferait rien de plus que conforter Bakugo dans des retranchements qu'il ne voulait pas voir.

Le roux ne dit plus rien, suivant l'explosif dont les larmes n'apparaissaient plus. Ses yeux rougis, sa respiration, les reniflements, il ne les avaient pas inventé, mais ils avaient déjà disparus sous le tempérament du blond. Il n'en faut pas plus à Eijiro pour suivre le pas, trottinant pour rattraper un peu son bro qui ne l'attendait pas, parce qu'il savait qu'il serait là. Parce qu'il avait compris, d'une certaine façon. Mais il n'admettrait pas. Le roc lui laissera le temps qu'il faudra, mais un jour, Katsuki... un jour tu n'auras plus le choix.