Il était bientôt 16 h lorsqu’enfin, la sonnerie tant attendue par le jeune Monchi retentit. D’un empressement qui lui était si peu familier, il réussit à s’extirper de sa chaise et à sortir de la classe parmi les premiers, ce qui ne manqua pas de surprendre ses camarades habitués à sa mollesse habituelle. Toutefois, cet incongru changement de caractère n’était en aucun cas fortuit. En effet, d’ici à peine une poignée de minutes allait débuter l’ultime épisode de sa série favorite, Walking of Thrones, pour la toute première fois à la télévision.

En tant que fan ultime, il ne pouvait se permettre de le rater, et tout en filant au travers de l’allée mentant à la sortie, il scrutait les bars diffusant ce programme dans tout Musutafu. En effet, bien qu’il y ait des télévisions à l’internat, sa timidité ne lui permettrait jamais de s’imposer au point de monopoliser le poste. Ces quelques mois maintenant passés à l’UA lui avaient certainement fait gagner en force et en assurance, mais affronter le regard des autres demeurait pour lui une épreuve bien plus grande encore que faire face au danger. Perdu dans ses pensées, il manqua de lamentablement se vautrer dans l’escalier, bousculant au passage ses camarades qui ne manquèrent pas de lui faire agressivement remarquer. Cependant, étourdi comme il était, il avait bien l’habitude de ce genre de remarque… D’ailleurs…

Les instant qui suivirent cette pensée furent consacrée à se passer lentement la main sur le visage en guise de facepalm. Ses affaires, il les avait oubliées en classe, et face au torrent d’élèves de toutes filières qui descendaient l’escalier, remonter ce flot tel un saumon urbain (oui un saumon urbain vous avez bien lu) n’était aucunement en corrélation avec le fait de ne pas manquer le premier quart d’heure du season final.
Tant pis, songea-t-il… Même si avec notre licence provisoire nous devons toujours nous balader avec notre matos, il ne m’arrivera probablement rien…

16h05, le jeune élève était enfin arrivé à la sortie de l’UA, il sortit de sa poche son… et oui… ayant oublié ses affaires parmi lesquelles on pouvait compter son téléphone, il se trouvait dépourvu de moyens efficaces de se repérer. Ainsi, après avoir tourné à plusieurs reprises sur lui-même, il fit demi-tour après quelques dizaines de mètres pour enfin s’engager sur le supposé bon itinéraire. Le ciel était menaçant et ses premiers pas furent rythmés pas les grondements du tonnerre, raison de plus pour se presser, pensa-t-il alors que les pavés défilaient sous ses semelles. Après quelques bifurcations, il arriva dans le prétendu quartier du bar, qu’il n’avait toutefois jamais fréquenté.

Il était alors 16h12 et il n’y avait plus la moindre seconde à perdre. L’étudiant s’élança dans une ruelle par intuition, manquant de trébucher sur un monticule de poubelles, esquiva de justesse une carcasse de voiture et accéléra de plus belle le pas lorsqu’un chien se mit à le talonner. Il détestait les chiens, puants, agressifs, imprévisibles et surtout… Beaucoup trop rapides…
Il sentait désormais son souffle sur ses chevilles, et, pris de panique, se mit à chercher dans ses poches quelque-chose à lui lancer.

De la monnaie, trop léger, des chips… Une bonne distraction mais après cette course, je n’aurai plus rien à me mettre sous la dent… réfléchis… réfléchis…. Je sais !

A quelques mètres devant lui, apposée sur une poubelle, trônait une vieille bouteille de vin à moitié brisée. Saisissant cette opportunité, le jeune élève se déganta la main droite, révélant ses petits coussinets, et commença à sécréter sa sueur polarisante. Se saisissant vivement du tesson, il l’envoya en plein visage du cabot qui manqua au même moment d’attraper sa chaussure. Ce dernier, toutefois, esquiva vivement. Ce qu’il ignorait cependant était l’alter du jeune Monchi qui, en écartant d’un coup sec ses doigts, fit revenir la bouteille à lui, assommant le bulldog à l’arrière de la nuque. Toutefois, la trajectoire du tesson se poursuivit jusqu’à la main du jeune homme qui laissa échapper un léger cri de douleur lorsque la bouteille lui effleura la main.
Il était désormais 16h14, plus la moindre seconde à perdre. Arrivé au carrefour à l’extrémité de la voie, il balaya du regard le croisement et vit, miracle, une enseigne ouverte nommée « The Red Strings Club ».

En quatre petites foulées, le jeune Monchi posa le pied dans l’enseigne relativement vide. Au comptoir, deux hommes recouverts de tatouages le fixaient tandis que dans le fond de la pièce, un groupe de jeunes discutaient bruyamment. Seul point réellement positif, une télévision allumée avec, miracle, la bonne chaine, et miracle, le générique de l’épisode. Aussi discrètement qu’il le put, il s’engagea dans l’allée et s’installa sur une petite banquette juste en face de la télé, baissant le regard, ne cherchant pas vraiment à croiser le regard des autres.
Lorsque le barman s’avança, il commanda un coca, ce qui amusa ce dernier, probablement peu habitué à recevoir ce type de clients, et commença, avachi sur le long fauteuil, à profiter de son épisode…

Comme tous les jours où le ciel se montrait grisonnent et que la pluie menaçait de s'abattre dans les rues japonaises, je préférais me faufiler dans un bar pour ne pas me laisser influencer par la morosité de se dépriment ciel dont la couleur ne me rappelait que le gris monotone de ma cellule de prison.
J’étais au préalable arrivé vers 15h50, sois un peu avant l’heure de pointe. Mais mon arrivée anticipée ne traduisait en rien une quelconque envie de m’en aller plus tôt. Je comptais bien passer la nuit ici.
Surprise, il y avait déjà un groupe d’étudiants présent dans le fond de ce bar appelé “The Red Strings Club”. Ils étaient au nombre de quatre, et qui dit groupe d’étudiants regroupés dans un bar signifie potentiellement un gage d’ambiance et alcool en grande quantité.
Le choix était tout fait. J’allais gentille ment me joindre à eux.
En l’espace de vingt minutes, je fis de rapide connaissances avec chacun d’entre eux, me présentant comme une touriste française. Ces quatre adolescents étudiaient ensemble la littérature anglaise, mais avaient passé leur après-midi à sécher les cours et picoler dans ce bar. Une bien drôle vision de la vie pour de si jeunes personnes, mais pourtant si familière…


Alors que je sirotais mon verre de martini gracieusement offert par le garçon à l’alter lui faisant ressembler à une citrouille un autre adolescent visiblement lycée avait rejoint l’enceinte du bar. Il alla s’isoler non loin du poste de télévision où semblait commencer une sorte d’émission ou de série. À premier vu, on aurait cru que ce jeune homme était un habitué de ce club. Je ne pus cependant m'empêcher de remarquer le rictus du gérant lorsqu’il prit la demande du lycéen. Intrigué par son émission, je fis faux bond à mes nouveaux amis pour rejoindre discrètement le garçon jusqu’alors seul. M’approchant silencieusement de lui, je remarquais en glissant un œil par-dessus son épaule qu’il s’était blessé à la main.

- Tu es blessé ? Lui fis-je pointa du doigt sa main éraflée. Tu t’es battu avant d'arriver ici ?

Le jeune homme sursauta lorsque la belle femme aux cheveux cendrés lui adressa la parole. Bien trop concentré par le début de l’intrigue de l’épisode, il n’avait aucunement remarqué l’arrivée de la demoiselle, tout autant que l’entaille au creux de sa paume.

Cette dernière, bien que peu profonde, était relativement sanguinolente, blessure à la main oblige, et alors que Monchi scrutait sa paume avec attention, il remarqua la tâche qu’il avait fait sur la nappe en tissu de la table. Sans même encore réellement porter attention à la demoiselle, il tenta de dissimuler cette tâche pour ne pas s’attirer les foudres du barman, mais dans ce geste ample usant sa main blessée, il répandit sur toute la surface supérieure de la nappe des macules de sang. Sentant que sa prochaine action ne pourrait qu’empirer les choses, il se tourna vers Andora, comme si rien de tout ça ne s’était passé. Il s’élança alors d’une voix peu confiante comme à son habitude…

Je… Non ce n’est rien… Un chien… M’a coursé et… Je lui ai envoyé une bouteille… enfin un tesson… et… et du coup… Je me suis coupé… et là… J’en ai mis partout… J’espère que… Enfin je suis désolé si ici c’est chez vous mais… Promis je ne voulais pas… Je suis étourdi je sais… Je… Je veux bien rembourser… Enfin payer le nettoyage…

Pendant cet hésitant discours, le jeune étudiant jetait des regards furtifs vers la télévision où son épisode poursuivant son déroulement. Ainsi, son visage changea du tout au tout lorsque son personnage favori entra en scène, remplaçant sa mine craintive et réservée par des yeux luisants d’admiration, comme ceux d’un enfant qui, pour la première fois, regarde la neige tomber. Toutefois, il souhaitait rester attentif à la réponse de la demoiselle qui avait porté son attention sur lui, et ce burlesque dilemme faisait faire à ses yeux un incessant et probablement agaçant vas et viens entre le poste et le visage de la jeune femme.
Toutefois, rentrant dans son champ de vision, un second élément perturbateur s’ajouta à la scène en la personne du barman qui, d’une voix rocailleuse et peu aimable, s’écria sur le jeune garçon.

Mais c’est quoi ça… Ma nappe neuve bordel… prends une serviette et couvre ta main je sais pas merde…

Se sentant acculé et constatant sa possibilité de regarder paisiblement son épisode lentement s’éloigner à l’horizon, il jeta un regard désespéré vers Andora en qui il plaçait désormais son espoir de régler la situation…

En toute honnêté… Le charisme n’était pas la qualité majeur de l’enfant. Il avait sursauté par ma simple parole qui semblait l’avoir extirpé de sa bulle de confort. Il mit un certain temps avant de me répondre. Je me demandais même s'il m’avait entendu ou peut être était il en train de m’ignorer ? Finalement, il se décida à me parler m’expliquant ses mésaventures avec un chien en arrivant jusqu’ici. Comme quoi, pour se défendre, il avait utilisé un tesson de bouteille et qu’il s’était coupé avec cette dernière. Avec son air paniqué, il se mit à se justifier et s’excuser pour le sang qu’il avait répondu sur la nappe qui désormais virait sur différentes teintes de rouge. Le gamin pensait que j’étais propriétaire du lieu. Sa réaction m’amusait. Je l’écoutais en affichant un sourire de politesse. Il était même prêt à rembourser la nappe ! Mais aussitôt, il décrocha de la discussion se tournant brusquement vers la télévision. Ce fut presque insultant, mais je demandais comment pouvait, on être aussi absorbé par son divertissement alors même qui tenait un monologue. Un être personnage arriva à l’écran apportant au passage la joie sur le visage d'adolescent. Aucun doutes, j’avais a faire à une sorte de nerd.
Mais d’un œil aussi vif que le mien (ou je ne m’appelle pas Hawkeye) le tenancier remarquer le sang qui petit à petit s'imbibait dans la nappe. Le barman haussa la voix demandant au garçon d’enrouler sa main blessée dans une serviette ou autre chose afin de ne pas salir son bâtiment.

- Ça ira, je payerais pour le désagrément.

Fis-je au barman avant de détourner mon regard vers la télévision puis par extension sur le jeune homme. Il n'avait certes pas l’air d’avoir le profil pour participer a mes prochaines qualifications au grand Deadlock. Mais je gardais espoir en mon intuition. Après tout, les nerds sont des passionnés. À tous les coups, il est de ceux qui idolâtres les héros et dans l’ombre. À première vue, ils ne valent pas grand chose et son vu comme des déchets de la société, mais ce sont finalement eux qui peuvent s'avérer être pleins de ressources. La passion alimente bien de choses, j’en sais un rayon là-dessus.

- Ça te dérange si je m’assois à coté de toi ?

Il s'agissait bien évidemment d’une question rhétorique. Je n'attendais pas une question de sa part pour m’installer sur la banquette à côté de lui.

- Alors, dit moi. Qu’est-ce que tu regardes ?

Pour moi, les mots de la demoiselle arrivèrent comme un soulagement.
Je… J’avais eu tellement peur de me faire virer de l’établissement… De… De rater ce mythique épisode qui rentrera dans l’histoire, et elle qui arrivait, souriante, se proposant même de payer ma note. Je fis un très timide signe de la main pour qu’elle s’abstienne, qui passa probablement inaperçu, et décolla mon regard du poste pour croiser celui de ma sauveuse. Elle avait un air sérieux, qui nuançait sa proposition amicale. Elle semblait vouloir lire en moi… Ou alors juste regarder mon attitude. Je ne savais pas trop et…

Oh mon dieu quelle classe, quel style, abattre le méchant dès la première seconde. Ça, c’était inattendu, mais en même temps, tellement mérité pour mon protagoniste favori dans une série d’exception. Et oui, dans notre monde désormais rempli de gens aux capacités bariolées et parfois terrifiantes, la fiction a eu bien du mal à se renouveler et à trouver des choses hors du commun. Les alter sont devenus une caractéristique banale de personnages et ce qui sonnait avant comme des histoires de superhéros devient maintenant une banale histoire avec des combats. Mais bon, c’est comme ça.

Oui… Tu… Installes toi… Enfin installez vous… Pas… Pas de soucis et… Merci.

Pourquoi je l’avais tutoyée… Je… Je ne sais pas trop. Le stress comme d’habitude… L’endroit ne me rassurait guère après tout. Cela n’était clairement pas l’endroit où je pensais me retrouver. Clairement pas un bar geek, c’est sûr… Y’avais des Yakusas… Enfin… Je n’en savais rien mais… Oui c’est cliché. Désolé. Et ces jeunes au fond… Pas l’air d’étudiants de l’UA… A vrai dire, il ne semblait y avoir que cette femme, certes un brin froide, mais aimable au moins, dont la présence ne m’inquiétait pas. A tort peur être. D’autant plus qu’elle venait de me demander ce que je regardais… Elle ne connaissait pas Walking of Thrones ? Visiblement oui. Quelle question bête. Toutefois, toujours en zieutant discrètement le poste, je pris la peine de lui répondre alors qu’un homme entrait derrière moi sans que je puisse le voir.

Et bien… C’est Walking… Walking of Thrones… Et… C’est le dernier épisode aujourd’hui… Je… J’aime beaucoup cette série…

Une seconde personne entra, faisant claquer le bas de la porte contre ma banquette, comme le précédent. Cela interrompit quelque peu mon discours. Toutefois, aimable envers la jeune femme, je poursuivis…

Ça parle de… Zombies… Dans un monde médiéval… Y’a des dragons aussi… J’aime bien… Enfin… Oui… C’est ma série préférée quoi.

Troisième individu, qui cette fois ci, pris la parole avant même que je n’ai pu reprendre une once d’air pour poursuivre. Une voix féminine, plutôt grave et assurée, brisa alors la calme ambiance du lieu.

Mesdames Messieurs, veuillez tous rester sagement à votre table. Ceci n’est pas un exercice, mais bien un braquage. Nishikori, va donc faire les poches de ces pauvres abrutis

Mon regard pivota quelque peu vers la scène, puis tout mon corps surpris et transi par la peur. J’étais censé être un apprenti héros, je sais, mais avoir ce que je découvris être un canon de fusil si près de ma tempe refrénait fortement mon entrain. J’aperçus alors un homme se diriger vers un couple que jusque là je n’avais pas vu tandis que l’autre se dirigeait vers une porte au fond de la pièce. La femme, quant à elle, balayait la pièce avec son arme tandis que mon regard cherchait celui de ma compagnonne de table, appelant clairement à l'aide.

C’était sur maintenant, les chances de regarder tranquillement l’épisode venaient d’atteindre 0 %.